Technologies (et usages) de l’anonymat à l’heure de l’Internet
Appel à contributions pour un dossier thématique de la revue Terminal
Préambule
Vivre en société débute par recevoir d’elle un nom, son nom, et de par cet acte fondateur, devenir une personne à part entière, circuler parmi les autres, échanger… La société est en cela le lieu du nom, de la nomination, et le pacte citoyen qui en découle ne saurait durablement se satisfaire de liens anonymes.
L’anonymat a contrario est la qualité de ce qui est sans nom ou sans renommée, d’une action non signée, d’un acte sans auteur. Sans auteur repérable, identifiable. C’est-à-dire hors d’atteinte, sans adresse. Irresponsable ?
D’aucuns s’accorderont pourtant à voir dans l’anonymat l’expression de la démocratie ; l’urne transparente, aujourd’hui menacée par le vote électronique, en est certainement le meilleur symbole.
Jusqu’où l’anonymat est-il légitime ? Qui doit en juger ? Quel équilibre entre le fait que l’anonymat soit, puisse être, légitime individuellement, et nocif socialement ?
Le succès d’Internet – et de la société mondiale qu’il sous-tend, société sans frontières qui n’a probablement pas les mêmes fondements – a relancé la question de l’anonymat et de sa fonction sociale : y domine l’idée d’une protection de l’individu vis-à-vis de l’opacité des pouvoirs de toutes natures qui, à l’encontre de la liberté promise (de s’associer, d’exprimer ses opinions…), pourraient l’assujettir… Derrière les stratégies de présentation de soi qui se développent sur le Net, se dessinent alors, et comme une parade, les contours parfois tentaculaires d’une identité numérique produite par l’individu lui-même et qui, doté des outils ad hoc, tels l’anonymisation, l’usurpation (frauduleuse ?), ou encore le masquage de l’identité, entend mener des actions de son point de vue performantes et rentables au vu du risque qu’elle font encourir (exemple classique de ce type d’actions : le téléchargement illicite, quoique jugé légitime pour beaucoup, de fichiers mp3…)
On assiste alors à deux types d’appréciation d’un phénomène qui opère sur le triple front du technique, du juridique et du social :
d’un côté, l’anonymat est, davantage qu’une promesse, une assurance de liberté d’action sur le réseau face aux lois sécuritaires de plus en plus intrusives et répressives (rétention des données de connexion…), aux assauts répétés des publicitaires et de ceux qui n’hésitent pas à exploiter les données commerciales en leur possession (affaire FaceBook…), actions menées à l’encontre de l’individu peu ou prou averti et qui toutes menacent ses libertés privées,
de l’autre, il est le signe à terme d’un délitement ou, pour le moins, d’une recomposition du social quand sur le Net toujours, toutes les règles de sociabilité se peuvent subvertir (xénophobie, pédophilie, escroqueries de toutes sortes…), quand les traces laissées par des internautes peu vertueux ne mènent que vers des avatars de leur personne… Se pose à l’inverse, pour les victimes de ces nouveaux préjudices, la question d’une pénalisation de l’usurpation de l’identité numérique, c’est-à-dire la possibilité de reconnaître qu’une personne dont on a utilisé à son insu l’avatar ou le pseudo ait subi un préjudice moral, reconnu par la loi et passible d’une peine.
En d’autres termes, se confrontent la perspective juridique, qui agi a posteriori et n’attente pas fondamentalement aux libertés privées, et la perspective policière, toute armée de ses dispositifs de contrôle aujourd’hui biométriques et foncièrement liberticides en cela qu’ils identifient à l’insu de la personne identifiée, se passant ainsi de ce qui en faisait une entité politique, à savoir sa déclaration d’identité : je déclare être celui que je suis…
Au-delà d’Internet, l’anonymat – en tant qu’il participe à préserver au citoyen le respect de ses droits – est une des questions récurrente de ce que l’on a coutume d’appeler l’informatisation de la société, problématique bien connue depuis au moins la loi de 78, la création de la Cnil et puis dans son sillage celle du Creis. S’y déploie une réflexion sur l’encadrement législatif du fichage, c’est-à-dire de l’acquisition de données nominatives, de la conservation de ces données, des traitements effectués sur elles, et de leur anonymisation. Cette problématique s’actualise toutefois à l’heure où les données publiques concernant les individus sont si nombreuses sur Internet qu’il est techniquement possible dans bon nombre de cas de constituer furtivement des fiches nominatives comportant des données personnelles, voire des données sensibles.
En marge, toujours, d’Internet, se pose la question des procédures qui nécessitent l’identification et qui promettent, dans une perspective de proportionnalité, l’anonymat : Pass Navigo, mais aussi émargement lors du vote, consultation des membres du personnel par une administration, une entreprise, etc. Quelles garanties (entre autres juridiques) quant au respect du principe d’anonymat, quelles possibilités de constat et de contentieux quand ce principe est bafoué ?
Orientations
Dans cette nouvelle livraison de Terminal, nous entendons faire de l’anonymat un concept clé, explicatif des tendances du (lien ou pacte) social à l’heure de l’Internet et de la communication généralisée ; nous entendons mettre en évidence – à côté des dispositifs technologiques de surveillance et de contrôle sur lesquels il prend appui –, la place qu’il occupe dans la constitution de l’identité du sujet, et notamment chez les plus jeunes, dans l’évolution de la notion même d’identité, et envisager les impacts sociaux, cognitifs, culturels et politiques liés à cette évolution.
Pour cela, nous privilégions deux approches :
approches historiques, politiques, juridiques, psychologiques… de la notion d’anonymat, et de la façon dont l’anonymat se conjugue aux technologies.
approches de type monographiques quant aux usages, enjeux et réalités de l’anonymat dans des dispositifs juridiques et techniques tels que le vote électronique, le recueil d’avis, la constitution de fichiers de personnes et le procès d’anonymisation, ou encore le fonctionnement de lieux d’échanges, de rencontre
Calendrier
dépôt des propositions des articles (résumé d’une à deux pages) avant le 23 novembre 2009 à Chantal.Enguehard@univ-nantes.fr et rpanico@wanadoo.fr ;
décision d’acceptation communiquée aux auteurs avant le 15 décembre 2009 ;
soumission des articles avant le 15 février 2010,
envoi des rapports des relecteurs pour le 15 avril 2010 ;
version révisée des articles attendue au 15 juin 2010.