Dans une approche historique, Emilie Armatte nuance quelque peu ce propos en s'appuyant sur Emmanuel Castell pour qui les sociétés industrielles modernes seraient plutôt des " jungles cahotiques " que des " bureaucraties surcentralisées ". Cependant, son texte établit le changement de sensibilité de l'opinion publique à l'égard de la " mise en fiche ", depuis les années 1970, contestataires, jusqu'aux années 1990, qu'on dira " collaborationnistes ". Si le projet " SAFARI " d'interconnexion des fichiers individuels sur la base d'un numéro d'identification unique a été repoussé en 1974, le projet de 1997 sur l'interconnexion des fichiers sociaux et fiscaux, lui, a été approuvé. Notre société est peut-être éclatée, elle n'en demeure pas moins soumise à une forte tentation centralisatrice, que les NTIC lui offrent sur un plateau. En témoigne la crainte nouvelle d'un envahissement de la sphère privée par les techniques du cybermarketing.
Hubert Bouchet répond lui aux questions qui lui sont faites sur la place des NTIC dans l'entreprise et la gestion des rapports entre les salariés et les dirigeants, en même temps qu'il évoque le rôle de la CNIL, du fait des responsabilités qu'il y tient. L'informatique est, selon lui, au cœur d'une contradiction avec laquelle tôt au tard, il faudra s'affronter. Notre rapport au travail, les formes du travail ont, selon H. Bouchet, changé. L'investissement physique a cédé la place à l'investissement intellectuel, cognitif, mais aussi sans doute psychologique, psychique. Et ce type nouveau d'investissement salarial donne le meilleur de lui même quand il fait une large place à la liberté, à l'initiative, à la créativité de l'individu. Or, dans l'entreprise, la tendance est forte à utiliser les NTIC précisément pour leur pouvoir de surveillance, de contrôle et de limitation des capacités individuelles. S'il est vrai que le droit de l'employeur ne doit pas être perdu de vue, un tel usage de l'informatique est dommageable du point de vue même de l'employeur. C'est sans doute pourquoi notre interlocuteur se déclare optimiste : un usage intelligent des NTIC finira par s'imposer?
On peut en douter à la lecture du document de Yves Poullet. Son analyse au cordeau de la loi belge sur les dispositions légales imposées aux prestataires de services de réseau en matière de conservation des données au fin de lutte contre la criminalité informatique laisse à voir que les tendances " benthamiennes " l'emportent largement sur les considérations relatives à la protection de la vie privée. Comparant loi nationale belge et dispositions réglementaires européennes, Y. Poulet souligne les imprécisions du texte belge, sa position " liberticide "par rapport aux réserves contenues dans les textes européens et, au total, l'inefficacité prévisible des mesures arrêtées, eu égard au fait que les dispositifs de surveillance déjà institués n'ont en rien interdit la préparation des attentats du World Trade Center - agités par tous les Grands Justiciers pour justifier leurs volontés de contrôle. Le plus grave peut-être est que cette rhétorique de la lutte contre le mal semble rendre moins impératif, au sein de l'opinion publique, le désir même de protection de la vie privée. Cette " délégitimation " rampante du droit de l'individu mérite évidemment d'être étudiée?