Synthèse de la table-ronde numéro 3 - « La communication, enjeu géopolitique »
L'intitulé de la table-ronde aurait pu laisser présager l'un de ces débats dont les termes sont somme toute assez rebattus, bien que pas toujours analysés en profondeur. Pourtant, les participants au colloque ont su éviter le piège du lieu commun, en analysant la communication comme enjeu géopolitique à travers différentes perspectives.
Dans son exposé introductif, Meryem Marzouki a rappelé l'enjeu planétaire de la communication et de son contrôle global, tant par la possession des infrastructures que par la mainmise sur les contenus. Constatant la portion congrue laissée aux États et aux instances supranationales, dont le rôle est réduit à l'administration d'une société de marché au mieux des intérêts économiques et financiers dominants, elle a invité à s'interroger sur la notion de « gouvernance partagée » entre les États et l'industrie, mais aussi sur le rôle grandissant de la société civile et sur sa légitimité réelle.
Jean-Claude Boual a exposé son expérience concrète à travers les activités du « Comité européen de liaison sur les services d'intérêt général », montrant par l'exemple le rôle tenu par le milieu associatif dans la prise en compte de la notion de service public dans les textes européens. Cette expérience, tout comme le rappel d'exemples tels que celui d'ATTAC, n'a pas manqué de réaffirmer l'importance de l'usage des moyens électroniques de communication pour faciliter, du moins au plan matériel, l'exercice de la démocratie.
Philippe Breton a choisi d'explorer, à cet égard, ce qui devient un véritable mythe, à savoir que la communication en réseau serait porteuse d'une société transparente, démocratique et solidaire. D'emblée, il a ainsi voulu questionner la notion de liberté, à laquelle le discours dominant associe la communication. Partant de l'analyse des discours politiques d'accompagnement de la « société de l'information », Philippe Breton a fondé sa critique sur l'analyse de trois « vertus » qui seraient attribuées à la communication : dégagée de toute contrainte et de toute violence, positive et libératrice par nature, et enfin jeune, voire « jeuniste ». En démontant le mécanisme de ces discours, Philippe Breton a montré que l'objectif sous-tendu est en fait la destruction de l'idée même de société, par l'apologie de l'individu.
Armand Mattelart a voulu rappeler, dans une perspective historique, l'essence du projet politique et géopolitique de la construction de la « société de l'information », élevée au rang de « révolution ». Expliquant comment, dès les années quarante, la notion de liberté de circulation de l'information a été intégrée dans la doctrine diplomatique du gouvernement américain, puis dans les textes internationaux, Armand Mattelart a développé l'idée que ce concept a servi de véritable arme aux américains pendant la guerre froide, pour finir par devenir l'une des clés de voûte de la propagation de l'idéologie libérale, prônant la fin des États-nation et la déréglementation.
Le débat s'est ensuite engagé avec les participants, riche de préoccupations diverses et montrant l'ampleur des enjeux soulevés. Le point le plus discuté a été sans conteste les formes possibles de résistance à cette véritable guerre de l'information et le rôle des intellectuels dans le développement d'une pensée alternative à ce qui n'est, finalement, qu'un argumentaire de propagande idéologique, certes violent, mais plutôt pauvre.