De l'ècole du savoir à l'économie du savoir

Thomas Lamarche.


L'éducation et la formation se sont dotées d'institutions et de structures fortes, présentes dans le débat public et omniprésentes dans l'organisation économique et sociale. La figure du mammouth, lancée par Claude Allègre, alors ministre de l'Education nationale, symbolise la puissance, l'inertie et l'ancienneté du système français, à défaut de s'intéresser à sa complexité. Ainsi l'Education nationale relève d'un compromis social dominé par sa délimitation territoriale, selon une figure archétypique du service public structuré nationalement dans un compromis entre l'etat, ses personnels, les publics (et par exclusion le capital, qui pendant longtemps ne trouve pas dans l'éducation un domaine de profitabilité). Les besoins éducatifs de la nation, l'attention émotionnelle des "familles" (les usagers), les enjeux de pouvoir autour de la diffusion des connaissances et l'absence de rentabilité directe de l'investissement réduisent la dimension strictement économique du champ. L'éducation relève de logique de pouvoir et, particulièrement en Europe, s'insère dans l'appareil d'Etat (après avoir échappé au clergé).

A la stabilité organisationnelle de la présence de l'Etat comme facteur décisif de la structuration et de l'offre, s'ajoute ce que l'on peut qualifier la stabilité technologique. L'éducation et la formation connaissent une grande continuité dans les outils de transmission du savoir. Cette stabilité a d'ailleurs été interprétée comme une relative inertie de l'institution ; usagers et praticiens le perçoivent lors des expériences et des projets d'introduction de technologies. Sous la poussée conjointe de changements techniques (les TIC, notamment en réseau) et d'un mouvement de libéralisation, le champ de l'éducation et de la formation semble entré dans des bouleversements structurels qui pourraient Ítre majeurs. Deux grandes catégories d'interprétation sont mobilisées pour analyser les changements en cours : le changement technique et le mode de valorisation du capital (dans le cadre d'une ouverture internationale des économies).

Un système éducatif ancré dans une dimension nationale et publique

Le domaine éducatif se découvre une dimension d'enjeu économique et d'enjeu international nouvelle. Le World Education Market de Vancouver, tenu en mai 2000, révèle ainsi l'existence d'un marché international1 et met à jour la réversibilité de l'organisation actuelle de l'éducation. L'Etat nation et l'école sont menacés dans le primat exercé sur la transmission des connaissances. La constitution du système éducatif ne repose pas sur une période historique "courte" comme celle du fordisme (une trentaine d'années), néanmoins cette phase particulière du développement des pays industrialisés marque profondément les institutions, le mode d'intervention de l'Etat et l'insertion internationale des Etats nations. Les particularités des structures de l'enseignement s'inscrivent dans une histoire longue tant au niveau des enseignements primaires que de l'organisation universitaire et du supérieur en général.

La grande entreprise fordiste est fortement ancrée dans son pays d'origine. Les parts de marché sur le territoire, les lieux des principaux centres de production et surtout de décision, la culture et la nationalité des dirigeants, le poids des commandes publiques, ... sont autant d'éléments qui participent d'une production industrielle fortement territorialisée.

Ainsi les Etats-Providence qui se structurent essentiellement selon des particularités nationales montrent l'amplitude des cultures politiques et sociales nationales. Cela se traduit dans des politiques économiques générales mais aussi par l'intervention plus directe dans le domaine des services publics et évidemment des services de l'Etat lui-mÍme. L'Etat s'engage alors dans la prise en charge directe d'une partie de l'activité. Les infrastructures sociales et techniques de la croissance (transport, éducation, santé, ... ) sont façonnées pour servir l'amélioration des conditions de vie et de production de la nation.

Le système éducatif est un exemple de bien public, dans le sens o[[breve]] le marché laissé à lui-mÍme n'a pu assurer les conditions de développement qui sont requises pour un domaine produisant des valeurs pour l'ensemble de la collectivité. Le marché ne permet pas de trouver un système de prix tenable et les différentes sélections opérées par le marché ne valorisent pas le bien-Ítre de la collectivité.

Enfin pour renforcer la perspective d'un système éducatif fortement marqué par un territoire et une construction historique, il convient d'évoquer le fonctionnement interne, dans le sens d'un organisme gérant des personnels. Le système éducatif apparaît comme une institution complexe, issue de compromis avec le personnel et entre les personnels. La difficulté de réformer l'appareil fait ressortir une tension entre gouvernement et pouvoir de l'institution. L'université en tant qu'espace dirigé par les (des) enseignants-chercheurs sur la base d'assemblées représentants les différents acteurs, fit apparaître la dimension interne (voire la conflictualité interne) comme un constituant décisif de l'organisation.

Le caractère fortement local de "l'offre" d'éducation et de formation doit aussi beaucoup à sa très longue stabilité technologique et au fait de son caractère très faiblement échangeable au niveau international, qui exclut la pression concurrentielle. Or cette pression concurrentielle est un élément essentiel de la destructuration des services publics, particulièrement les services publics en réseau.

Jusqu'à une période récente, les modalités de la production du savoir et de la formation sont à faible teneur technique et technologique. La relation directe de l'enseignant avec "l'élève" et l'usage de l'écrit comme support essentiel participe de ce que l'on peut qualifier de stabilité technologique. Cette nature technologique de la production et de la transmission de savoir, associée à son caractère éminemment culturel, exclut l'extérieur (le reste du monde) des données structurant l'économie de l'éducation.

L'exportation (ou l'importation), et l'investissement direct à l'étranger (ou de l'étranger) ne sont pas pour les pays du Nord des facteurs structurants décisifs du domaine éducatif jusqu'à une période très récente. Ces relations économiques extérieures ne sont d'ailleurs pas décisives non plus dans le développement industriel jusque dans les années 1970-1980. A l'inverse les flux Sud-Nord d'étudiants attestent bien que les formes de l'échange ou de "l'exportation" du savoir et de la formation existent. Ils ont d'ailleurs des conséquences en terme de domination économique et politique (mainmise sur les élites du Sud). La mutation des technologies et des conditions de l'échangeabilité internationale, qui avaient constitué des éléments stables dans la période précédente, va nourrir les rouages de la mondialisation libérale.

Vers l'ouverture à la concurrence du service public de l'éducation

Plusieurs aspects de la crise du fordisme déstabilisent le compromis organisationnel de l'éducation. Le phénomène de désindustrialisation induit de nouvelles tensions dans les services renforçant la pression concurrentielle. Une des composantes du postfordisme est l'éclatement des régularités nationales. L'hypothèse privilégiée est alors celle d'une crise d'une forme de régulation centrée autour de l'Etat-providence dans un espace national délimité. L'accroissement des exportations et des importations, mais plus encore l'évolution des Investissements Directs à l'Etranger structurent le postfordisme en déstabilisant les institutions et les régularités précédentes. Les firmes développent des stratégies de globalisation visant des nouvelles localisations (Veltz évoque une multilocalisation2).

Les services, dans leur extrÍme variété, fournissent de nouvelles opportunités de développement, notamment dans une logique d'extension internationale. Les accords du GATT, puis de l'OMC à Marrakech, constituent des démarches visant à ouvrir les services à la concurrence. Ce que l'on repère pour les services publics en réseau (électricité, gaz, eaux, transport ferroviaire, télécoms, ... ) est connu comme mouvement de déréglementation. Il s'agit d'un mouvement d'ouverture de nouveaux domaines de compétence pour le capitalisme international.

Les services, puis les services publics, sont de nouvelles opportunités pour la valorisation du capital. Ces mouvements ne se traduisent pas essentiellement par des exportations, car on sait que les services ne s'exportent pas en tant que tels. La localisation de la production de services passe par l'appropriation de producteurs locaux, soit par acquisition des anciens monopoles locaux (télécoms, électricité, chemin de fer, ... sont de ce point de vue caractéristiques), soit par investissement direct, soit par fusion-absorption, soit par le développement de franchise.

L'Accord Général sur la Commercialisation des Services (AGCS) qui se négocie à l'automne 2000 à Genève tente d'introduire la santé et l'éducation dans le champ des services. L'enjeu est de définir santé et éducation non plus comme des missions ou des charges publiques, ce qui les protège de la règle commune du marché ouvert, mais au contraire comme des services susceptibles d'Ítre concurremment fournis par des "offreurs" publics ou privés, nationaux ou transnationaux.

Sous la pression de grandes institutions américaines (en l'occurrence les universités), l'offensive américaine sur l'ouverture à la concurrence d'éléments de plus en plus centraux des régularités et des particularités nationales est très forte. Sachant que les Etats-Unis sont à l'origine de 80 % des ressources en ligne3 la domination par les réseaux se trouve relayée par la domination sur les contenus.

Les stratégies d'internationalisation animent les firmes mais aussi les Etats eux-mÍmes. Pour les firmes on parle de stratégie de globalisation. En effet la croissance tirée par les exportations est un modèle d'autant plus présent qu'en France, notamment, pendant les décennies 1980 et 1990, les salaires ne s'accroissent pas et les revenus assez peu. Alors les politiques industrielles s'apparentent à une recherche d'avantages comparatifs car la désinflation compétitive qui a marqué les politiques européennes durant ces années est une politique de concurrence entre les territoires.

Crise de l'Etat

La dimension crise de l'Etat-providence est une dimension essentielle de la crise du fordisme. Le plein emploi des années de croissance avait permis de stabiliser le consensus macro-économique. Non seulement le maintien d'un niveau élevé d'activité permet de stabiliser les ressources de l'Etat selon un cercle vertueux de croissance ; mais en plus cet état de réussite fait taire pendant plusieurs décennies la critique libérale à l'encontre de l'Etat.

La crise entame les capacités d'action budgétaire de l'Etat : moins d'activité, donc moins de recette fiscale, donc rétrécissement des marges de manúuvre budgétaires de l'Etat. Les compromis sociaux, basés sur le plein emploi et l'intervention sociale de l'Etat sont déstabilisés... ce qui ouvre la porte à une attaque globale de l'intervention publique. Le compromis fordiste sur l'intervention de l'Etat et la puissance de critères collectifs de gestion sont progressivement remis en cause4. Le retour à l'individualisme méthodologique se traduit par une domination de la rationalité individuelle dans les sciences sociales et particulièrement dans les sciences économiques5. La question des fondements des sciences sociales trouve quelques échos biens réels lorsque l'on regarde la difficile existence des péréquations tarifaires dans les services publics, les difficultés des systèmes de redistribution (fonds de pensions individuels contre retraites collectives... ), mais aussi lorsque l'on s'intéresse aux mouvements collectifs (syndicalisme, crise de la représentation politique).

Le postfordisme pose la question du dépassement du compromis sur la consommation collective et les péréquations... L'individualisation de la consommation de service public suscitée par les offreurs et renforcée par les comportements d'usage constitue un facteur déstabilisant des structures collectives.

La pression concurrentielle rebondit sur le mythe de l'affranchissement à l'égard du "monopole" de l'école et de l'enseignant-censeur. Les offres concurrentes peuvent ainsi facilement valoriser des solutions adaptées, un décloisonnement du lieu et du temps d'apprentissage, remisant le présentiel comme une contrainte, et omettant qu'il permet une dimension relationnelle pourtant souvent mise en avant dans le marketing de la relation de service.

Changement technologique

La dimension technologique et de la recomposition postfordiste fait intervenir des variables technologiques, comme on en retrouve dans les principaux changements majeurs, ainsi que l'a montré Joseph Schumpeter. Les technologies de l'information modifient les conditions de la création et de la circulation de l'information. De plus, les technologies de l'information sont en tant que telles un secteur de croissance. Enfin, elles fournissent les conditions d'une nouvelle spatialisation des activités.

Les analyses de l'"économie de l'information", terminologie bien plus ancienne que celle d'"économie du savoir", s'intéressent au traitement de l'information et à la décision économique (notamment d'un point de vue micro-économique). La littérature managériale montre que la maîtrise de l'information permet d'accéder plus précocement au marché, d'améliorer l'adaptation des produits aux marchés ou aux clientèles... L'usage de l'information est, dans ce sens, considéré comme source d'avantage concurrentiel. La variété, puis l'adaptation à l'individu dans une logique "one to one" qui travaille actuellement la pratique marketing, requièrent une maîtrise avancée des flux d'information et de leur traitement.

Succédant à des travaux sur l'information, la pensée du postfordisme passe imperceptiblement au "savoir". Depuis quelques années émerge une conceptualisation du postfordisme en terme d'économie du savoir6 ("knowledge-based economy"). Cette notion a été reprise officiellement par les Etats de l'union européenne en mars 2000 au Conseil de Lisbonne. La structure productive, mais aussi la domination économique reposent sur l'innovation, la maîtrise de l'information et le traitement de l'information.

Les questions de savoir et de connaissance sont traitées selon de multiples approches. On retiendra ici celles qui touchent aux changements structurels car cela permet de situer les questions éducatives et de formation dans la perspective longue d'une réorganisation du régime de croissance. La relation à l'information et aux savoirs pourrait Ítre au cúur d'une nouvelle configuration du capitalisme. Ainsi, selon Pascal Petit "l'ampleur de ces changements structurels et leur interdépendance donne tout son poids à l'hypothèse d'un changement de régime de croissance". Trois changements structurels sont ainsi imbriqués : le système technique (TIC), la nouvelle phase d'internationalisation, et l'extension de la tertiarisation7.

La configuration structurelle qui se profile se traduit dans le domaine éducatif par des perspectives qui sont analysées autour de plusieurs axes : recours croissant à la technologie et mécanisation ; recours croissant au marché et marchandisation ; extension internationale.

Traiter de la question des TIC dans le domaine éducatif demande un point de vue interne (organisation du secteur de l'éducation et de la formation) et externe (usage des savoirs et donc usage des produits issus de l'éducation et de la formation dans la production de valeur).

La production du savoir et sa diffusion auprès des publics (apprenants, étudiants, ... ) connaissent des dimensions étendues du fait des technologies (c'est l'objet de la plupart des articles du numéro). Les limites entre services et biens sont alors plus floues. On se situe dans le trend de tertiarisation avec sa composante "conseil", intervention de l'intelligence sur l'intelligence. Conjointement les réseaux et les supports technologiques (notamment cédérom) induisent une logique de production et d'échange de biens, ce qui justifie la notion souvent développée en terme d'industrialisation de la formation. Ce sont ainsi les mécanismes d'apprentissage mais aussi les logiques de production qui sont en jeu.

Ces changements dans la production et l'usage du savoir prennent place dans le cadre d'un recours croissant au marché. La dynamique concurrentielle se traduit notamment par des recherches d'économies d'échelle et de variété. La reproduction du savoir sur différents supports (notamment l'accès en ligne) introduit le secteur dans une logique de coûts fixes, alors que les coûts variables sont massifs dans l'enseignement présentiel. La différence entre les deux structures de coût débouche sur une concentration de la production, suivant le rythme des rendements croissants.

La logique de duplication sans coût variable (coût de la mise en réseau sur internet ou coût de la copie d'un cédérom) engendre un rythme d'économie d'échelle exceptionnel. Cela permet toute sorte de dumping visant à diffuser très largement des contenus. L'ère de la reproduction "sans" coût peut déboucher sur des pratiques anticoncurrentielles visant à détruire les concurrents (notamment locaux).

La concentration internationale dans le domaine des "services publics" en réseau autour d'un nombre de plus en plus réduit d'opérateurs (alors qu'on comptait un opérateur par pays avant la déréglementation) est-elle un horizon pour un bien public comme l'éducation ? Et cela mÍme si l'éducation est moins marquée par les externalités et les rendements croissants que les services en réseau.

L'internationalisation évoquée est alors une conséquence directe des stratégies d'extension des "producteurs de savoir". Il s'agit de rentabiliser sur un espace croissant le savoir qui est produit en un point donné. L'exportation des services, en l'occurrence les services éducatifs, est un enjeu, non seulement technologique mais aussi institutionnel (voir à ce sujet les négociations autour des règles de l'OMC).

La diffusion et la production du savoir, que nous interprétons dans ce numéro essentiellement en partant de déterminants internes, sont dans le mÍme temps condition de changements structurels que résument les stratégies de globalisation des firmes transnationales. La forme du savoir diffusé participe d'un formatage idéologique, caractérisant la domination par les contenus qui s'illustre par la domination des contenus "culturels" pour la télévision, ou la domination managérial par le "conseil".

La domination industrielle dans une "économie basée sur le savoir" donne une sensibilité accrue autant au brain drain (vers les pays du Nord en général et américain en particulier) qu'au formatage du savoir. C'est ainsi que dans la concurrence entre institutions de formation, on trouve une concurrence dans laquelle les systèmes de reconnaissance et de validation reposent sur une domination préexistante (Cf. la reproduction sociale selon Bourdieu). Que l'on s'intéresse aux conditions économiques de développement des différentes formations (avec des effets d'échelle notamment), ou aux conditions de leur reconnaissance (notoriété, reconnaissance du "corps professoral") on peut anticiper des situations de concentration et de domination. Mais si la concentration et la concurrence au niveau international sont des phénomènes connus pour les contenus de télévision ou le conseil en management (les big fives, cinq plus importantes sociétés de conseil, sont toutes américaines), par contre dans le domaine de la production de savoir (éducation, université, recherche) cela prend des formes plus complexes et moins connues.

Sommaire

Situer d'emblée l'éducation dans le "nouveau" régime économique montre l'enjeu majeur qui se joue autour du savoir et particulièrement de l'école, lieu essentiel de la production et de la transmission du savoir, et qui trouve dans la technologie des conditions nouvelles de diffusion et d'usage.

Voici donc un numéro de Terminal pour réfléchir à l'insertion des technologies dans l'éducation et la formation. Il s'attèle plus aux transformations du système éducatif qu'aux développements de l'"économie du savoir" en tant que régime économique, mais la revue reviendra là dessus.

La première partie met en perspective historique le campus virtuel en s'interrogeant sur les expérimentations technologiques dans le domaine de l'éducation. MÍme si on a déjà noté une stabilité technologique, les liaisons de l'éducation avec la technologie ne sont pas récentes. Michel Burnier en retrace ainsi le chemin de l'expérimentation de l'informatique à l'école montrant combien la virtualisation de la relation d'enseignement est problématique. Il y a rupture avec une conception centralisée autour de l'enseignant. GaÎtan Tremblay propose de conclure ce panorama en s'arrÍtant sur la notion de campus virtuel qu'il situe entre délires, mythes, discours publicitaires, expériences réelles et futures de l'université, et Marin Ledun s'intéresse au point de vue des apprenants en réfléchissant aux conditions d'usage des campus virtuels.

La deuxième partie place les développements technologiques dans la marchandisation en cours. La réflexion en terme d'industrialisation d'Elisabeth Fichez montre que l'insertion de l'éducation dans la logique économique offre plusieurs visages qu'il faut prendre en compte simultanément pour intégrer les dimensions technologique, idéologique, de rationalisation, ... Patrick Guillemet envisage l'industrialisation comme une construction insolite, pointant certaines contradictions, notamment entre classiques et modernes, entre artisanat et industrie, qui pourraient cependant se combiner de façon harmonieuse.

Eric Delamotte intègre la question dans une perspective en terme d'organisation des institutions éducatives pour situer le "service" entre standardisation et sur-mesure. Laurent Collet s'éloigne de l'éducation nationale pour s'intéresser à l'usage de la formation et du multimédia en entreprise. Il montre que la dimension pédagogique cède le pas à une dimension instrumentalisée.Alors que l'on s'interroge sur les formes de l'industrialisation de la formation, Michèle Descolonges, pour caractériser les modes d'apprentissages des hackers, montre les filiations avec une forme préindustrielle : le compagnonnage.

Pour illustrer ces jeux d'acteurs "industrialisant" l'éducation, nous avons demandé à Mireille Le Van, responsable du projet éducation à France Telecom, de témoigner de sa stratégie Internet en direction de l'éducation, en s'appuyant sur le dispositif des "ambassadeurs d'internet". La transformation en "net société" allie changement d'image, implication des salariés, et prise de position dans un marché en devenir.

La troisième partie ouvre la discussion sur les changements vécus par les acteurs usagers et enseignants. La position d'Ulrich Briefs nous permet de situer la réflexion dans un milieu syndical enseignant, en abordant notamment la technologie en terme de risque. Cette perspective développée venant d'Allemagne, elle nous permet de saisir la communauté de problématique au sein de la "collectivité" des enseignants. Après avoir interrogé Internet comme objet des sciences sociales, Michel Juffé revient sur Internet comme sujet, pour relativiser ses capacités à faire évoluer les conditions d'apprentissage, de recherche et d'enseignement. Cela est éclairé par l'expérience de Joséphine Rémon et Luc Bardolph dans le domaine de l'apprentissage des langues.

Jean-Pierre Archambault se demande comment la technologie peut Ítre un moyen de décloisonner les disciplines. Le campus virtuel peut alors soutenir l'interdisciplinarité. La maîtrise de l'accès aux technologies, et en l'occurrence au réseau (qui est source d'information et moyen de communication) est une compétence de base qui peut-Ítre discriminante.

1. Le Monde du 26 avril 2000 cite une estimation de IDC de 2 milliards de chiffre d'affaires.

2. Pierre Veltz, Mondialisation, villes et territoires, L'économie d'archipel, coll. " Economie en liberté ", Paris, PUF, 1996.

3. Source : Observatoire des ressources pour la formation, cité par Le Monde, 26 avril 2000.

4. Keith Dixon décrit ainsi la traversée du désert des ultra-libéraux, jusqu'à leur renaissance publique dans les années 1970, Keith Dixon, Les évangélistes du marché, Raisons d'agir, 1998.

5. Cf. L'économie politique, n[[infinity]] 6, " O[[breve]] en est la science économique ", 2e trimestre 2000, notamment Robert Boyer, " Le tournant des sciences sociales ".

6. Cf. La revue d'économie industrielle, n[[infinity]] 88, spécial économie de la connaissance, 2e trimestre 1999.

7. Pascal Petit, " Les aléas de la croissance dans une économie fondée sur le savoir ", Revue d'économie industrielle, n[[infinity]] 88, 2e trimestre 1999.