La fracture numérique est habituellement présentée sous la forme d’inégalités d’accès à la société de l’information. On sait qu’elle ne se réduit pas à cette question, car le développement des usages et l’offre de services et de contenus sont tout aussi déterminants. Mais elle les conditionne, d’où la présence obsédante de ces thèmes dans les politiques publiques.
L’accès revêt diverses formes. Ce peut être l’accès aux infrastructures elles-mêmes, en particulier dans les pays en développement où la question reste cruciale. Le texte d’Annie Chéneau-Loquay le montre pour l’Afrique où la géographie physique des réseaux de télécoms couvre très inégalement le territoire.
À la différence des pays développés, les inégalités de couverture en Afrique concernent de vastes zones et à toutes les échelles. Il faudrait développer les connexions aux backbones internationaux et les points d’échange régionaux et locaux à Internet. Mais il est difficile de réaliser ces objectifs, compte tenu de la logique économique des opérateurs privés et de la prégnance des (ex) monopoles publics. L’avènement de solutions sans fil locales pourrait permettre à des populations peu favorisées d’avoir un accès.
L’accès aux contenus passe aussi par des droits de propriété. Fabrice Rochelandet s’interroge sur la question de savoir si la propriété intellectuelle participe de la fracture numérique. Ses effets sont ambivalents. D’un côté, elle dresse des "enclosures" et freine la diffusion des biens numériques. A contrario, la piraterie réduit les inégalités d’appropriation de ces biens. De l’autre, la propriété intellectuelle protège la production de ces biens qui n’est pas entièrement concentrée dans les pays riches.
L’arbitrage entre protection et diffusion n’a aucune raison d’être identique partout. Il doit correspondre aux niveaux d’usage, aux conditions du bien-être des consommateurs et aux intérêts des industries selon les pays. Il n’y aurait pas de sens d’aligner tous les pays sur le régime US de renforcement des droits de propriété tout comme, à l’inverse, la piraterie largement pratiquée dans les pays en développement n’est pas la panacée dans les pays développés.
L’article de Blandine Ripert met l’accent sur une autre dimension de l’accès : l’accès à des services et des contenus, dans un pays en développement, l’Inde. Au-delà de l’accès se pose la question de la connexion à quoi. Les programmes internationaux et nationaux d’aide à la diffusion d’Internet sont pavés de bonnes intentions, reposant sur une vision très normative des usages. Les paysans indiens développent en fait d’autres usages que ceux promus par les organismes internationaux.
Alors que ces organismes entendent transporter les bénéficiaires dans un autre monde, celui supposé de la modernité appelé société de l’information, les paysans indiens se servent d’Internet pour des usages inscrits dans la continuité de leurs pratiques sociales.
Dans sa communication sur la diffusion des TIC au Sénégal, Thomas Guignard souligne le chassé-croisé entre les Sénégalais autochtones tournés vers les sites occidentaux et la diaspora sénégalaise qui constitue la clientèle essentielle des sites locaux. Bonne illustration du village global ! Ce chassé-croisé ne représente pas moins le danger de contenus locaux peu adaptés aux résidents du pays et d’une extraversion totale d’Internet.