Le développement des entreprises
« en reseau » et l’industrialisation des services. Le cas des centres d’appels.
Giusto
Barisi ISERES/CGT
Nous allons exposer, dans cet article, les résultats
de plusieurs recherches récemment menées par l'ISERES, l’institut de recherche
de la CGT, sur les applications des NTIC et, en particulier, sur le
développement des plates-formes de relation avec la clientèle par des réseaux
télématiques. Sur ce thème spécifique, l'ISERES, avec huit partenaires
européens, a participé, entre 2000 et 2003, à un projet de recherche européen[1]. Sur la base des connaissances
apportées par le travail d'investigation et par les séminaires réalisés au cours du projet, nous allons essayer de
répondre à une série de questionnements stratégiques sur les tendances
d’évolutions récentes et sur les perspectives de développement de ces
activités.
La
cartographie des centres d'appels en France
Depuis 2001, la cartographie des centres d’appels la
plus exhaustive est réalisée, avec une fréquence annuelle, par la société CESMO
Consulting, pour l’Association Francaise des Centres de Relation Clientèle
(AFRC). En 2002, plus de 2000 responsables de centres d’appels ont été
contactés.
Selon les auteurs de l’enquête, le nombre de CATS de
plus de 10 « positions » (postes de travail) est de 2900
environ, avec une croissance de 8,4% par rapport à 2001. Les CATS intégrés dans
les entreprises auxquelles ils fournissent leurs services ont davantage
augmenté que les centres d’appels externalisés (outsourcing). En 2003,
le taux de croissance devrait diminuer, mais rester supérieur à 5%.
En
2002, les CATS employaient 183.000 salariés environ, soit 0,74% de la
population active. 25% des CATS embauchent - selon les déclarations des
managers - des CDD, et 16% annoncent avoir recours à l’intérim. L’institut
IDC (le premier groupe mondial de conseil et d’études sur le marché des
TIC) comptait, en 2000, 4.250 centres d’appels, dont près de la moitié
disposait de moins de 10 positions de travail. France Télécom, à soi seul,
disposait de plus de 800 CATS, et occupait plus de 20.000 télé opérateurs. Il
est généralement convenu que la limite définie par cinq positions de travail
sur un centre constitue un seuil en-dessous duquel les caractéristiques
technologiques et de gestion d’un centre d’appels sont difficilement
démontrables, et s’apparentent davantage à celles d’un groupe d’accueil
téléphonique.
Un indicateur de la phase encore initiale de
développement de l’activité est la forte concentration régionale des centres
d’appels. Près de 80 % des centres est installé en six régions: l’Ile de France
(38%), le Nord Pas de Calais (11%), le PACA (9%), le Rhône Alpes (9 %),
l’Aquitaine (7%), les Pays de Loire (6%). En effet, les CATS sont répandus
davantage dans les secteurs à haute technologie (où la maîtrise des techniques
à utiliser est plus diffusée) et dans les secteurs financiers (où les activités d’interface entreprise/clients
et la standardisation des procédures sont très importantes).
Nombre de CATS
(en %), par secteur d’activité
- informatique, télécom, internet, haute
technologie (22%)
- banque, assurances (20 %)
- outsourcers (externalisés
indépendants) ( 19 %)
- industrie, automobile et transports ( 15 %)
- distribution, commerce, VPC (9%)
- autres services (8 %)
- secteur public, associations, collectivités
(4 %)
Malgré les potentialités importantes des économies
d’échelle pour ces structures très taylorisées, la taille moyenne des CATS
reste plutôt limitée. Mais cette faiblesse apparente est en partie compensée
par le développement des liaisons en réseau :
Effectif % de
CATS
5 à 20 34
21
à 50 35
51
à 100 13
101
à 200 12
201
à 400 4
plus
de 400 2
Les « spécialistes » de ces activités (les
outsourcers, suivis par les activités à haute technologie) utilisent tendanciellement les CATS aux
dimensions les plus importantes. Les CATS de dimensions inférieures sont le
plus souvent reliés en réseau (tendance qui s’accélère).
Les missions le plus fréquemment confiées aux centres
externalisés sont la prise de commandes (30%) et la réservation (23%). 23% des
managers interrogés ont déclaré que l’outsourcing
a une utilité limitée aux « campagnes ». Ainsi, 14% des centres
intégrés y font appel en cas de flux d’appels importants, souvent imprévus. En
France, l’internationalisation de ces structures est encore très limitée: 62%
des CATS sont monolingues et 18 % sont bilingues. Les outsourcers et les
CATS de dimensions les plus importantes sont plus fréquemment multilangues.
Le niveau de perfectionnement technologique des CATS
reste encore plutôt faible:
Equipement %
des CATS
ACD (distribution automatique des appels) 84
SVI (serveur vocal interactif) 63
e-mail 48
CRM (customer relationship management/gestion
des relations clients) 44
predictive dialer (prévision des temps et de
la distribution des appels) 32
planification (du fonctionnement du CATS) 30
solutions multicanal (utilisation de
plusieurs techniques de communication) 16
Si la moitié des CATS intègre un outil de gestion
automatisé des e-mails, à peine 15 % des CATS sont aujourd’hui en mesure de
gérer des relations multi-canaux (voix, mail, chat, co-navigation, etc.)
Installation
et délocalisation des centres d’appels.
Concernant la division internationale du travail,
nous avons participé, avec douze autres pays européens, à un projet[2], visant à étudier la localisation des
centres d'appels. A la suite d'une enquête qualitative sur 62 entreprises, une
classification des grandes régions européennes a été aussi réalisée en prenant
en compte les différences nationales des systèmes de relations professionnelles
et de prévoyance sociale, selon les clusters (catégories) proposés par
Gosta Esping Andersen[3]
:
Region |
N° de cas |
A : UK (6) ,
Ireland (2) |
8 |
B : Denmark (3),
Finland, Sweden et Norway (6) |
9 |
C :
Germany (5), Austria (5) |
10 |
D : France (5), Belgium, Netherland et
Luxembourg (8) |
13 |
E : Greece (3), Italy (5), Spain (3) |
11 |
F : Hungary (4), Czech Rep. (3), Poland (4) |
11 |
- La région A, caractérisée par des marchés de
travail très déréglés, est ouverte aux logiques néo-libérales des systèmes de
protection sociale et des cultures d'entreprise. Cette région, où l'anglais est
la langue officielle, et caractérisée par une diffusion élevée des TICS et a
attiré un nombre important de centres d'appels européens. La présence de
centres d'appels externalisés y est aussi la plus importante.
- La région B, caractérisée par des systèmes de
protection sociale très avancés et égalitaires, par un système social dont la
cohésion est fondée sur une forte confiance de la population vis-à-vis de
l'autorité publique, dispose d'une
force de travail très qualifiée. C'est une région comprenant les zones où
l'utilisation d'Internet et des technologies de l'information est la plus
élevée au monde et le chômage relativement plus faible. En revanche, cette
région constitue un pôle de faible attraction d'activités de la net-économie en
provenance de l'extérieur.
- La région C est caractérisée par une forte
régulation du marché du travail, par une forte tradition de dialogue social
(modèle corporatiste) et de recours à l’état providence. C'est une région où
semble exister le risque de délocalisation d'activités de la net-économie vers
d'autres régions à faible coût du travail, et où l’anglais est parlé
couramment. Dans cette région et dans la région D, la présence de centres
d'appels intégrés dans les entreprises auxquelles ils fournissent des services,
est la plus élevée.
- La région D a un système social " hybride
" mais plus proche du modèle C que du modèle A ou du modèle B. Elle semble
avoir obtenu quelques succès dans le développement des centres d'appels et des
" back offices ".
- La région E, à l'exception de l'Italie du nord
(proche du système de régulation " corporatiste ") est caractérisée
par un marché du travail déréglé, où l'économie informelle est très diffusée et
les accords informels sont répandus, et les CATS connaissent une situation
identique.
- La région F est constituée par des états candidats
à l'entrée dans l'Union européenne. Dans les zones équipées avec des
infrastructures appropriées et où une force de travail qualifiée est
disponible, des activités d'élaboration de l'information, avec des applications
innovantes des TICS, ont été implantées. Elles fournissent souvent des services
aux entreprises des autres Etats.
Les résultats des enquêtes montrent non seulement
que toutes les prévisions de développement de ces activités étaient largement
sur-estimées, mais aussi que le processus de développement varie largement de
région à région et qu’il ne suit pas les évolutions observées dans les
premières régions-pilotes, où ces activités se sont d’abord développées. Sans
revenir ici sur les évolutions spécifiques de chaque région, il faut néanmoins
souligner le fait que les configurations sont très instables et que les
décisions de localisation de ces activités sont souvent remises en question
(tous les trois - cinq ans, en
moyenne) pour plusieurs raisons : restructurations/fusions des entreprises
auxquelles elles fournissent les services, variations du contenu des services
requis, innovations technologiques fréquentes et importantes, structures
logistiques très légères des CATS, où le coût du personnel dépasse de 60% du
coût total des services fournis.
On a repéré deux tendances fondamentales et
contradictoires des politiques de localisation de ces activités: on observe,
d'une part, des délocalisations successives vers les pays à bas coût de main
d'œuvre, en fonction surtout du
développement et du coût des infrastructures télématiques, des exigences
linguistiques et de proximité à la
clientèle ; d'autre part, on assiste à une centralisation et à une intégration
de ces activités avec les entreprises donneurs d'ordres. Cette tendance
s’affirme en fonction des économies d'échelle réalisables, par l'intégration de
plusieurs activités des CATS, mais
surtout de l’intégration des activités CRM avec d'autres activités d'entreprise,
dans la mesure où le système informatique s’intègre (ERP, SCM - supply chain
management/automatisation de la logistique -, etc.) et opère en temps réel ;
les impératifs de "confidentialité " et de fiabilité de l'information
traitée influencent aussi ce choix.
Pour les centres d'appels externalisés, le choix du
site d'implantation dépend d'une série de facteurs, en partie hiérarchisés. Les
zones doivent naturellement être dotées d'infrastructures qui assurent le bon
fonctionnement du centre d'appels : réseaux télématiques et électriques, voies
de communications et transports en commun facilement accessibles, fiables, et à
faible coût d'utilisation. La disponibilité de parking et de services, de
bonnes conditions de sécurité pour le matériel et pour le personnel sont aussi
des atouts très appréciés.
Le marché de travail local (dont le périmètre est en
général défini par les localités qu’on peut joindre en moins d'une heure, à
partir de l'établissement) doit assurer du personnel en abondance, à faible
coût. Par exemple, les centres d'appels qui disposent de 200 positions environ
emploient de 350 à 400 salariés. La proximité avec des agglomérations de 20.000
habitants au minimum est donc requise.
Le taux de chômage élevé est un élément favorisant.
Des zones " vierges " de centres d'appels
sont souvent préférées par les investisseurs. Ceci favorise la stabilité du
salariat (le taux de turnover des télé opérateurs est très élevé), évite la
perte de connaissances, le gaspillage des investissements en formation, et
réduit la divulgation d'informations réservées en direction de la concurrence.
Les zones rurales, où le coût de la main-d'œuvre, du terrain, des bâtiments
sont plus faibles, sont évidemment appréciées, quand les compétences
linguistiques requises sont faibles. Enfin, sont examinées avec beaucoup
d'intérêt les opportunités offertes par les " zones franches " et par
les zones qui reçoivent des subventions publiques conséquentes pour le
développement de l'emploi, pour la reconversion ou pour la formation des
salariés. Des facteurs parfois déterminants pour la décision finale sont
l'efficacité et la motivation des administrations locales, le " climat
social ", la vitesse et les facilitations pour les démarches
administratives en vue du démarrage de l'activité. En effet, en France, le
" temps administratif " de ce processus varie de un à trois, selon
les départements.
Nous avons constaté que le nombre des plates-formes
de relation client (les CATS spécialisés dans les relations avec les clients)
intégrées aux entreprises sont de loin plus nombreuses, en Europe continentale,
que les plates-formes externalisées. Partout, la très grande majorité des
plates-formes B to B (business to business) est restée à l'intérieur des
grandes entreprises (plus de 9 cas sur 10). Une large majorité des plates-formes
B to E (business to employees) est aussi conservée à l'intérieur des
entreprises. La majorité des plates-formes B to C (business to customers) est
intégrée à l'entreprise (8 sur 10 en France, où leur nombre a progressé plus
rapidement, dans les 2 dernières années, que celui des externalisés).
Depuis plusieurs années, les " spécialistes
" de ce secteur d'activités, et en particulier ceux des pays anglo-saxons,
prévoient une évolution vers une forte spécialisation de ces activités, et vers
une autonomisation croissante des établissements externalisés, à l'image de ce
qui s'est passé dans ces pays. Ces prévisions (comme beaucoup d’autres
concernant la net-économie…) ont, jusqu'à maintenant, été démenties par les
faits, mais les potentialités de développement de la net-économie sont encore
énormes. Pour dessiner les scénarios d'évolution à moyen-long terme les plus
probables, nous devons considérer aussi des caractéristiques des évolutions
futures des structures des entreprises et des technologies de la net-économie.
Deux détours sont donc nécessaires :
Les
innovations technologiques
Nous avons récemment participé à un programme
européen visant à étudier les avancées techniques et les conséquences sociales
des applications de la reconnaissance vocale[4].
Les enquêtes montrent que les applications sont désormais généralisées en
plusieurs pays, et que les résultats sont spectaculaires. Aux Etats Unis,
malgré les difficultés dues à la variabilité de prononciation de la langue
anglaise (selon les minorités et les localités), presque tous les numéros des
renseignements téléphoniques fonctionnent avec un système de reconnaissance
vocale, en mesure de fournir les informations sans intervention humaine. Une
évolution analogue s’est affirmée en Italie, où les applications de la
reconnaissance vocale sont très diffusées. Le secteur bancaire utilise ce
dispositif pour des opérations complexes aussi, comme l’achat ou la vente
d’actions. En France, en revanche, ces dispositifs sont encore très faiblement
appliqués. Souvent, les spécialistes nous ont expliqué cette situation par le
fait que « les Français n’aiment pas
parler avec les robots... ». En effet, il nous a été plusieurs fois
confirmé que, dans les cas des portails vocaux qui offrent une navigation par
les touches du téléphone, une bonne partie des utilisateurs coupent la
communication, qui devient pénible, après trois ou quatre manipulations. Mais
la situation est très différente pour les systèmes de reconnaissance vocale, où
il faut simplement parler pour répondre aux sollicitations de l’automate. Nous
avons testé le système en Italie avec plusieurs services : réveil téléphonique,
réservations pour le théâtre, renseignements pour des services ferroviaires, et
les résultats de ces tests ont été satisfaisants, du point de vue des
consommateurs. Il est très probable que ces systèmes seront généralisés, à
moyen terme, en France aussi.
Parallèlement, la diffusion d’internet, les progrès
de la sécurisation des transactions, les applications du programme « e-administration » de la fonction
publique française vont en partie assurer, à moyen terme, les services le plus
fréquemment offerts par les outsourcers (les renseignements, les prises de
commandes, les transactions, les réservations). De plus, il faudra à la fois
assurer les relations télématiques avec la clientèle et l’accueil traditionnel,
le « face à face », pour éviter les discriminations des citoyens
basées sur le revenu, sur la formation, ou sur des situations de handicap. Aux
Etats-Unis, le télé marketing a été aussi récemment soumis à une
réglementation, pour éviter que les
clients potentiels ne soient « harcelés » et leur permettre de
choisir leurs contacts. La télévision, en revanche, reste un instrument privilégié
pour cette activité.
Enfin, cette année, France Télécom va offrir sur des
marchés locaux des services Internet sans fil (wi-fi), et d’autres opérateurs devraient suivre, à court terme.
Ceci devrait contribuer aussi à une diminution des prestations traditionnelles
des centres d’appels. Nous avons montré[5]
comment, contrairement aux prévisions et aux idées courantes, la haute
technologie et le télé travail ont développé beaucoup plus fortement le travail
nomade que le travail à domicile. Elles ont ainsi contribué à augmenter, et non
pas à réduire, la mobilité spatiale des travailleurs. Le wi-fi va encore renforcer
cette tendance.
A l’occasion d’une recherche récente[6],
nous avons analysé le fonctionnement d’un groupe français pionnier dans la mise
en place de centres d’appels. Il est classé parmi les leaders du secteur et
reconnu tant pour les « bonnes pratiques » dans la gestion du
personnel que pour la qualité des prestations techniques qu’il assure. Nous
avons, en particulier, suivi un projet spécifique de mise en place d’un centre
d’appels. Décrire ici le déroulement de la phase de montée en régime de la
plate-forme téléphonique nous permet de montrer efficacement les logiques
régissant la constitution et le
fonctionnement des CATS, ainsi que les caractéristiques du travail des télé
opérateurs.
Le projet a consisté à mettre en fonction une
plate-forme téléphonique pour répondre aux appels des clients d’un grand groupe
industriel, producteur de matériel informatique. La plupart des services mis en
ligne sont des hot lines d’assistance technique pour les utilisateurs du
matériel. Il s’agit donc, de prestations des CATS parmi les plus complexes, et
les communications ont une durée supérieure, en moyenne, à 5 minutes.
Aujourd’hui, la plate-forme répond à environ 400 000 appels par an.
Au début de l'activité de la plate-forme
téléphonique, le personnel utilisé était doté de niveaux de qualification et de
compétences techniques plutôt élevés, car il devait faire face à une situation
nouvelle, connaître plusieurs produits et fournir souvent des réponses à des
questions posées pour la première fois. Des techniciens de l'entreprise -
client avaient formé les formateurs des télé opérateurs qui avaient suivi, à
leur tour, des cours de formation de 3 semaines sur les produits. En effet, la
base de connaissances (la base de données contenant les réponses aux questions
des clients) était très limitée, les procédures de diagnostic (arbre de
questions à poser au client pour déterminer la réponse meilleure) étaient
faiblement articulées. Pour certains produits, les télé opérateurs disposaient,
sur le poste de travail, de prototypes des produits commercialisés. Quand un
client appelait pour un dépannage, s'ils ne trouvaient pas une réponse adaptée, ils procédaient à un
démantèlement de la machine et parfois ils effectuaient sur la machine les
manipulations qu'ils suggéraient au client.
Au début de l’expérience, deux niveaux de télé
opérateurs existaient: le premier niveau fournissait les réponses plus simples;
le deuxième effectuait des diagnostics plus complexes et répondait aux
questions posées pour la première fois. Dans le temps, la division du travail a
fortement augmenté et le travail a été très standardisé. Après 6 mois, un
niveau de pré-traitement des appels a été créé; à ce moment, trois niveaux de
télé opérateurs existaient, en fonction de la complexité technique des réponses
à fournir. Plus tard, des serveurs vocaux ont été introduits et le traitement
des appels a été différencié, d'abord selon la marque des produits (Mac ou PC)
et ensuite selon les types de produits. Enfin, pour les questions les plus
difficiles ou complexes, un service de e-mail et de fax a été installé.
Parfois, les réponses sont fournies par des techniciens de l'entreprise de
fabrication.
Au fur et à mesure que le temps passait, la banque
de données s'enrichissait, des réponses standardisées augmentaient en nombre
(modélisation sur cases based reasonning)
et étaient déléguées aux premiers niveaux de réponse. Les procédures de
diagnostic étaient souvent révisées et davantage articulées, le temps moyen de
réponse au clients diminuait, ainsi que le coût moyen du travail des télé
opérateurs (les rémunérations des télé opérateurs du premier niveau sont les
plus faibles). Généralement, les directions des projets considèrent que la
première phase du développement est conclue quand la plate-forme fournit une
réponse standardisée au 80% des questions. Dans la deuxième phase, sont
standardisées les réponses à 80% des questions restantes (20%) et ainsi de
suite, jusqu'au changement du produit traité.
Souvent, les réponses à certaines questions sont
cherchées en laboratoire, pour trouver les solutions les plus efficaces et
réviser ensuite l'arbre de diagnostic. En moyenne, les réponses aux questions
des usagers sont trouvées après 5-6 questions (arborescences), mais il est
possible d'arriver, dans certains cas, jusqu'à une vingtaine d'arborescences.
Même si l'entreprise peut utiliser beaucoup plus le répondeur vocal
automatique, son emploi reste limité parce qu’aujourd’hui encore les clients,
après 4-5 réponses automatiques,
abandonnent la procédure, dans la plupart des cas. Néanmoins, à
moyen-long terme, des développements importants sont prévus pour
l'automatisation des réponses. L’accélération du repérage automatique de la
meilleure réponse aux questions dans
les bases de données, grâce au perfectionnement des logiciels de reconnaissance
vocale et aux applications de l'intelligence artificielle est en effet
envisagée.
Les statistiques sur les activités des plates-formes
sont analysées toutes les semaines et des ajustements sont décidés, en fonction
aussi de la qualité des réponses: nombre de problèmes non résolus, nombre de
renouvellements des appels, nombre d'appels faisant l’objet d’un recours,
nombre de réclamations, résultats d'enquêtes auprès des usagers et
d’appels-mystère. Des "baromètres mensuels" des prestations sont
édités et des réunions mensuelles sont tenues avec le client, pour décider des
développements éventuels du système. Des objectifs de performance tels que les
pourcentages des réponses fournies par les serveurs vocaux et par chaque niveau
de compétence technique sont poursuivis aussi: il est clair que les appels
décrochés aux niveaux les plus élevés sont les plus coûteux et que, dans le
temps, leur nombre doit constamment diminuer, grâce à l’enrichissement des
bases de données. Par exemple, pour le cas analysé, l'objectif était, après un
an de fonctionnement, de transférer aux spécialistes de l'entreprise de fabrication
moins de 5% de l’ensemble des appels reçus. Des réunions trimestrielles avec
les télé opérateurs fournissent aussi des suggestions pour améliorer les
performances et l'organisation du travail de la plate-forme.
La productivité-débit varie donc constamment dans le
temps : en général, un premier pallier se situe à 6 mois après la mise en
place de la plateforme; dans cette période, la productivité augmente très
fortement. Un second pallier, fixé pour des objectifs d'amélioration plus
faibles, se situe à 8 mois, et un troisième à 12 mois. Ensuite, il semble difficile d’augmenter la productivité et,
pour la direction, l’objectif est plutôt de ne pas la faire fléchir. En effet,
l’entreprise demande aux téle opérateurs un engagement “ émotionnel ”
constant vis-à-vis des usagers et des efforts continuels pour améliorer les
prestations. Après un an, ils sont pris dans un travail de routine, ils
risquent de se démotiver et la qualité de leurs prestations peut facilement
fléchir. La direction des ressources humaines développe donc, à ce moment, des
actions de "maintien" de la qualité du travail : des formations sont
réalisées, des tâches nouvelles sont confiées aux opérateurs, des rotations
entre postes différents sont organisées. En définitive, selon l'opinion d'un
haut responsable du groupe, le "Customer
Relationship Management" (CRM)
dans le traitement de l'information ne serait, au fond, qu'un processus
"d'industrialisation des services pour les utilisateurs" caractérisé
par une forte taylorisation et par une automatisation croissante du traitement
de l'information.
Heureusement, le client en question sort sur le
marché 20 à 30 produits nouveaux par an. Des innovations sont ainsi introduites
dans le travail des télé opérateurs, bien que les nouveautés soient en général
limitées et ne changent pas beaucoup les contenus des tâches, si les
changements des produits ne sont pas radicaux. Par ailleurs, pour les nouveaux
produits, grâce à l'expérience cumulée dans le traitement des prototypes
précédents, dans la plupart des cas, la
"montée en régime" de la productivité est très rapide.
Dans les entreprises de ce groupe, les salariés
gardent un niveau relativement élevé d'autonomie pour traiter avec les usagers,
s'ils atteignent les objectifs de productivité fixés, mais cette autonomie est
strictement contrôlée. Les innovations pratiquées par les télé opérateurs sont
soit intégrées et généralisées, soit remises en cause et abandonnées, si elles
ne sont pas jugées utiles pour la progression de l'ensemble du système d’information.
Un épisode exemplaire nous a été raconté. Sur une plate-forme, des télé
opérateurs expérimentés étaient capables de fournir des diagnostics et des
réponses aux usagers avec un nombre réduit de questions et leurs temps moyens
de traitement des appels étaient sensiblement inférieurs au temps moyen de
l'ensemble des équipes. Ils avaient en effet
développé ensemble, sur l'intranet, un cheminement nouveau de
questionnements pour formuler le diagnostic, qu'ils étaient les seuls à être
capables d'utiliser. La direction du projet a analysé ces comportements
"déviants" et a imposé leur abandon parce que, dans le processus de
développement de la banque de données et de la montée en régime du
fonctionnement de la plate-forme, il était prévu que certaines questions devaient être traitées aussi par des télé
opérateurs moins expérimentés (moins coûteux) et que, par une forte
standardisation des questionnements, la banque de données pouvait augmenter le
volume des informations utiles plus rapidement. Cette démarche permet, en
effet, de banaliser plus expéditivement un certain nombre de problèmes, de
réaliser une nouvelle division du travail entre les niveaux différents
d'expertise et d'augmenter plus rapidement la productivité totale du processus.
Un an plus tard, il semblerait (selon la déclaration d'un dirigeant) que cet
objectif a été atteint. (Nous avons par ailleurs rencontré un épisode similaire
dans un autre centre d'appels.)
Cet exemple nous montre que dans les CATS, y compris
dans les situations où le travail est plus complexe et varié, la taylorisation
est très forte, le travail est très appauvri, la répétitivité et le stress sont
très élevés. Et les niveaux des
salaires sont comparables à ceux des ouvriers. De plus, les possibilités de
développement professionnel sont presque inexistantes, si l’acquisition de
compétences techniques, liées à la connaissance des produits ou à l’exercice
d’autres fonctions d’entreprise, n’est pas stimulée. Le président du groupe
nous a confirmé que, pour éviter un taux élevé de turnover et pour fidéliser
ses salariés, il préférait embaucher du
personnel à bas niveau de qualification (diplôme inférieur ou égal au bac).
Ces caractéristiques du « métier » sont
confirmées par l’enquête réalisée dans le cadre du programme TOSCA, mais aussi
par l’enquête de la CFDT, auprès de plusieurs milliers de télé opérateurs[7].
Les deux enquêtes montrent que les conditions de travail des salariés dans les
centres d’appels externalisés sont sensiblement plus dégradées que pour les
autres salariés des CATS: leur turnover est beaucoup plus élevé (presque 3
salariés « externalisés » sur 4 avaient une ancienneté inférieure à
deux ans) leurs horaires sont plus flexibles et les niveaux moyens de leurs
salaires sensiblément plus faibles. Parmi eux, 73% ont déclaré que leurs
compétences étaient sous-utilisées. Seulement le 15,4% des détenteurs d’un
diplôme supérieur au bac envisagent de conserver leur poste sur le long terme.
Différente est la situation du personnel des CATS
qui réalisent aussi d’autres tâches techniques. Nous avons réalisé des enquêtes auprès de conseillers
financiers de la poste, d’assureurs, d’employés de l’administration qui
réalisent aussi des tâches de back office ou des tâches commerciales qui les
obligent à rencontrer personnellement les clients/usagers. Dans ces cas, l’outil télématique est
considéré un « plus » pour leur travail et les conditions de travail,
de santé sont considérées plus acceptables.
Dans quelques projets de l’administration aussi, le
choix de ne pas externaliser les CATS semble avoir donné des bons résultats, en
terme de qualité des services, de bien être des salariés et de limitation des
coûts. Le centre d’appels (parfois « virtuel », les postes de travail
n’étant pas réunis dans un même espace physique) a été maintenu à l’intérieur
de l’administration, et le travail de télé opérateur est assigné aux
salariés , par rotation, pour des
périodes limitées, en leur permettant
ainsi de continuer leur travail aux guichets ou au back office. Pour ces cas, les
investissements logistiques, technologiques et les dépenses pour la mobilité du
personnel ont été beaucoup plus faibles
que dans les cas d’externalisation.
En conclusion
: quel futur pour les CATS, dans la « société de l’information »
?
Les éléments d’analyse illustrés nous amènent à
conclure qu’à moyen-long terme, le scénario d’évolution le plus probable pour
les centres d’appels est celui d’un fort redimensionnement des CATS
externalisés, par effet d’une automatisation importante des prestations plus
répétitives et d’une intégration, dans les entreprises donneurs d’ordre, des
prestations plus qualifiées.
Sur les plates-formes B to B, pour l’achat produits
ou pour l’échange de services, ce sont aujourd’hui les spécialistes des
produits, de la comptabilité, des achats, qui interviennent directement. Avec
l’intégration des plates-formes aux systèmes de Supply Chain Management
(gestion de la chaîne logistique), sous les impératifs de la lean
production (production « maigre »), une logique d’optimisation
pour l’ensemble de la chaîne des
fournisseurs s’est affirmée. Cette logique demande des applications très
rigoureuse des procédures, des temps, de la qualité de la prestation, etc.,
pour éviter des dysfonctionnements dont les conséquences sont très importantes
pour l’ensemble de l’organisation. La fiabilité, la compétence du personnel, le
maintien d’une confidentialité concernant l’information traitée sont des
qualités indispensables pour le personnel qui opère comme interface pour les
fournisseurs ou pour les entreprises-client.
De même, pour les fournisseurs de services aux
usagers ou aux consommateurs, des évolutions semblables vont se dessiner. Au
cours d’une enquête dans une entreprise de la métallurgie qui avait réalisé le
reengineering de ses activités et était organisée par ligne de produits, le
directeur des services informatiques nous a affirmé que l’objectif, à moyen
terme, était de donner la possibilité à chaque client d’entrer directement en
communication avec un technicien responsable de la production, pour définir les
caractéristiques du produit à fournir ou pour signaler des défauts du produit
reçu. L’intégration SCM-ERP-CRM, la production « sur mesure » de
biens tangibles ou intangibles donnent des opportunités nouvelles de création
de valeur ajoutée qui exigent des interventions en temps réel, sur l’ensemble
de l’organisation, souvent par des nouvelles figures professionnelles, en
mesure d’intervenir sur plusieurs fonctions de l’entreprise.
Pourtant, tout ceci ne signifie pas que le nombre de
CATS va prochainement diminuer. Au contraire, pendant la phase de déploiement
des réseaux télématiques sur l’ensemble des activités économiques, leur nombre
va augmenter. Mais les configurations d’organisation mises en place devraient
déjà préfigurer celles des évolutions ultérieures.
[1] Le projet « TOSCA » (Tableau d’Observation Sociale des Centres d’Appels), financé par la Commission européenne.
[2] Le projet « Emergence ». On renvoie aux rapports :
« Modelling eWork in Europe » report n°388, et « Jobs on the
move : European case studies in relocating eWork », report n°386,
Institute for Employment Studies, Brighton, (UK) 2001.
[3] Esping-Andersen G., The three worlds of welfare capitalism, Polity
Press, 1990.
[4] Le programme Speechrec, financé par la Commission européenne, réalisé entre 2000 et 2002.
[5] G. Barisi : Les NTIC et les nouvelles formes de travail, Introduction au séminaire syndical international des métropoles, Lyon, novembre 2002.
[6] G. Barisi, P. Zarifian, Modèles de performance et intensification du travail dans la net-économie, rapport pour la DARES, 2002.
[7] Rapport de l’enquête: Le travail en question dans les centres, d’appels. Enquête de la CFDT. Fédération Communication et Culture, 2002.