Je ne veux pas dire par là que le terme de Net-économie ne recouvre aucune réalité
tangible. Le succès de Microsoft, au delà de ses démêlés avec la
justice fédérale américaine, prouve le contraire. Mais souvent, le commerce
électronique tant vanté n'est qu'un habillage, à l'heure Internet, de la classique
vente par correspondance. La Redoute et la Camif pour ne citer que ces deux exemples en France, utilisent
tous les moyens à leur disposition pour diffuser leur catalogue, hier le Minitel, aujourd'hui le
WEB agrémenté d'un paiement en ligne si celui-ci offre suffisamment de garanties. Mais
la part de la vente en ligne dans le commerce en général n'ira pas au delà d'un
certain seuil (de l'ordre de 10% du commerce global selon certaines estimations) car le goulot
d'étranglement du transport des marchandises ne sera pas levé à moins de
multiplier par deux ou trois le trafic dans nos villes déjà saturées. Et
puis malgré tous les efforts publicitaires consentis, les acheteurs préfèrent
encore souvent voir, toucher, essayer avant de mettre la main à leur porte-monnaie.
Là ou le commerce électronique prend vraiment son sens et peut révolutionner
les pratiques des consommateurs, c'est celui des biens numérisables ( musique, logiciels,
jeux vidéo, livres téléchargeables ....Ê) ou des services en ligne
(consultation d'informations, formation, réservation, assurance...). Mais toute oeuvre
numérique est reproductible à l'infini pour un coût dérisoire et
sa valeur tend donc tendanciellement vers zéro à moins d'instaurer une rareté
artificielle pour sauvegarder les marges bénéficiaires des cyber-entrepreneurs.
Les difficultés de nombreux éditeurs et producteurs, l'âpreté des
négociations sur le partage des rentes induites par la création intellectuelle
(droits d'auteur, brevetabilité des logiciels) et le succès du phénomène
du "Libre" sont des indices des contradictions dans lesquelles se débattent les acteurs de
ce secteur. Dans le secteur du livre, certains auteurs et éditeurs en sont réduits à
vouloir faire payer les abonnés des bibliothèques publiques, menaçant celles-ci de
leur refuser le droit de prêter leurs ouvrages. Le logiciel est devenu la chasse gardée de
quelques groupes comme Microsoft, dont les pratiques sont maintenant bien connues et les équipes
innovantes des start-up n'ont souvent d'autre avenir que le rachat au meilleur prix par ceux-ci.
Il reste un domaine où évidemment les techniques du multimédia et de l'interactivité
apportent de réels changements, c'est celui de la publicité et du marketing. C'est d'ailleurs le
seul marché vraiment porteur de la Net-économie et c'est par lui que se rémunèrent
actuellement un certain nombre d'entreprises en pointe. Mais le consommateur et le citoyen y gagnent-ils
vraiment quelque chose ?
Des boites aux lettres électroniques encombrées, la multiplication des bandeaux publicitaires
sur les écrans de navigation sont le lot commun quotidien des utilisateurs d'Internet.
L'information cherchée est obtenue par quelques clicks de souris, mais l'internaute a
laissé des "traces électroniques" qui sont analysées, stockées,
vendues souvent au mépris des droits élémentaires des personnes. Le
gouvernement prépare une nouvelle loi sur la société de l'information.
La perspective d'un nouvel eldorado lui fera-t-il oublier que son premier devoir est de faire
d'Internet un espace public, ouvert et démocratique et non pas la chasse gardée
des puissances d'argent ? Un gouvernement qui inscrit la promotion de l'économie solidaire
dans son action devrait favoriser l'accès de celle-ci et du monde associatif en général
à Internet comme contrepoids au monde marchand.