Informatiser la corruption dans les pays en d?veloppement Richard Heeks
La corruption -"incitation à la faute par subornation ou par des moyens illégaux ou malhonnête" (1) - est un problème général. Le thème de cet article est celui de la corruption dans le secteur public des pays en développement. En choisissant ce thème, il faut bien admettre, que d'autres secteurs que le public et que d'autres pays ont aussi des problèmes de corruption, et que la corruption dans les organismes publics des pays en développement passe par des financements venant du privé ou d'ailleurs.
Etudier l'informatisation et la corruption
La question de la corruption suscite des réactions contradictoires, dont certaines sont reprises ici (2) :
- la corruption est un concept propre à chaque culture, "votre culture vous fait dire que X est corrompu, pas la mienne" ;
- la corruption est salutaire "elle aide à faire tourner la machine de l'Etat et des affaires" ;
- la corruption est trop répandue pour s'y opposer "la corruption est partout. Que peut-on bien espérer faire ?"
Toutes ces réactions pourraient rendre difficile la prise en compte sérieuse du phénomène de la corruption, mais en fait il faut bien s'y attaquer pour au moins trois bonnes raisons (3) :
- elle aspire des ressources économiques importantes, particulièrement des possibilités d'investissement, vers des usages non-productifs et réduit les chances d'atteindre les objectifs planifiés ;
- elle "pompe" une autre ressource importante -le temps des fonctionnaires- vers des activités non-productives, et elle créée du ressentiment et des frustrations parmi le personnel, réduisant l'efficacité de l'administration ;
- par nature cachée et sans responsable avoué, elle est antidémocratique et entrave le développement du processus et des institutions démocratiques.
Pour ces raisons, entre autres, la corruption a toujours été considérée dans les pays en développement comme un grave problème. Depuis peu son importance grandit à cause des actions menées par des organismes financeurs, qui la considèrent explicitement, de plus en plus, comme un critère pour juger d'une "bonne administration" dans leurs décisions d'attribution de fonds, comme le fait par exemple l'ODA britannique. L'initiative de l'OCDE pour tenter d'éliminer les paiements illicites et la création de l'ONG "Transparency International," vont dans le même sens.
Si la corruption est à l'ordre du jour au plan international, il en est de même de l'informatisation. On est conduit alors à se demander comment l'informatisation peut intervenir dans le phénomène de la corruption dans les pays en développement. Vu l'importance des deux sujets -informatisation et corruption- et leur possible association, on pourrait croire que la question a été sérieusement examinée. Il n'en est rien. Il y a fort peu d'études sur le sujet.
Une des raisons est la difficulté de mener des enquêtes sur la corruption, car comme le note Klitgaard1 : "la corruption est un des principaux problèmes auquel se heurtent les décideurs et les entreprises dans les pays en développement, mais un des plus difficile à étudier". Les officiels corrompus ne font évidemment pas bon accueil à des enquêtes sur leurs activités ; il est plus facile de parler de la corruption en privé que de l'étudier publiquement.
Deuxièmement, il y a ce refus classique des gens à aborder les problèmes liés à la technologie : l'étude de la corruption relève des sciences sociales, mais beaucoup de sociologues sont mal à l'aise quand il s'agit des nouvelles technologies ; parallèlement, la majorité des spécialistes des technologies de l'information préfèrent passer leur soirée à débattre des mérites des diverses architectures des bus locaux, plutôt que de résoudre de vrais problèmes comme celui de la corruption.
Là où la question émerge, c'est dans les nombreux textes sur la sécurité informatique. Toutefois, il y a encore relativement peu d'études de cas sur ce sujet pour le Tiers Monde. Dans une recherche sur la corruption et l'informatisation, un intérêt évident est de savoir si l'informatisation peut -par exemple grâce à l'amélioration du contrôle des mécanismes internes des organisations- aider à réduire ou même à éliminer la corruption. Quelques exemples devraient venir ici apporter des éléments de réponse. Ils proviennent de l'expérience personnelle de l'auteur et de celle de membres de l'Institute for Development Policy and Management de l'Université de Manchester.
Des cas d'informatisation et de corruption
Le premier cas se passe en Asie, dans un bureau des douanes qui conservait manuellement les coordonnées des firmes étrangères impliquées dans des activités d'import-export. Ces adresses sont utiles pour les entreprises recherchant des contacts pour leurs activités d'exportation. C'est pourquoi elles payaient des employés des douanes pour qu'ils leur fournissent, en douce, les informations désirées. Ce département des douanes a été informatisé et un terminal mis à un guichet à la disposition du public. Les entrepreneurs ont gagné un accès direct aux précieuses informations, et le système de pots-de-vin a cessé.
Ces informations utiles pour le commerce international étaient très recherchées par les businessmen locaux. Comme cette information était rare et gardée comme une ressource privée, les employés des douanes (jouant le rôle de gardien des informations) étaient en mesure d'en "monnayer" l'accès. Tombées dans le domaine public, il n'est plus possible d'en rendre l'accès payant. Bien sûr cela à peu à voir avec l'informatisation. Le département aurait tout aussi bien pu rendre publiques ces informations enregistrées manuellement. Ainsi, quand on étudie les changements dus à l'informatisation, il faut bien prendre garde à distinguer les impacts des ordinateurs de ceux liés aux changements simultanés dans l'organisation.
Le deuxième cas se situe dans une entreprise de travaux publics africaine. Le problème était la présence de travailleurs "fantômes" dans le système. Ce sont des travailleurs inscrits comme employés, et donc payés en tant que tels, mais qui en réalité n'existent pas. C'est une autre personne qui reçoit le salaire à leur place. La paie a été informatisée, et durant le processus d'informatisation un rapprochement à été réalisé entre les employés du fichier et les vrais. Ainsi, tous les travailleurs "virtuels" furent retirés.
Cela sembla avoir résolu le problème, d'autant plus que le bruit courait que l'ordinateur pouvait faire automatiquement une comparaison entre la liste des employés à payer et la réalité, et détecter ainsi les salaires des travailleurs "fantômes". Bien sûr, il n'en était pas capable. Un audit réalisé 18 mois plus tard permit de repérer un opérateur fort aisé qui touchait son salaire mais aussi celui de 30 autres travailleurs "virtuels"qu'il avait fait entrer dans le système de paie.
Deux remarques peuvent être faites à la lumière de cet exemple. Premièrement, comme dans le cas précédent, l'informatisation a peu à voir avec l'élimination des travailleurs "fantômes", et celle -temporaire- de la corruption induite. C'est une vérification manuelle, comme celle réalisée avant et après l'informatisation, qui est nécessaire.
Deuxièmement, l'informatisation a fait évoluer la situation en modifiant le groupe des gens compétents, ayant des responsabilités et l'accès aux données leur permettant de réaliser des activités de corruption. Beaucoup des employés ordinaires furent effrayés et n'osèrent plus tenter cette forme de corruption.à cause d'une mauvaise perception des pouvoirs réels de l'ordinateur (réputation qui avait peut-être été répandue par l'équipe informatique). Ceux qui avaient une bonne connaissance des ordinateurs virent dans l'informatisation une formidable opportunité. Bien plus, ils risquaient d'autant moins d'être repérés qu'il existe une sorte de sentiment que les bases de données informatisées sont comme hors de portée des interventions de l'homme, que le pouvoir des ordinateurs fournissant des données est infaillible.
Le troisième cas a pour cadre une Université Asiatique. Les notes des examens y étaient conservées sur papier, les moyennes et les diplômes calculés manuellement par un petit groupe d'employés de confiance. Les listes de notes étaient conservées dans des coffres-forts. Etant donné le grand nombre d'étudiants concernés, un jour il fut décidé d'informatiser la gestion des notes. Il fut admis que l'information mémorisée sur un ordinateur non connecté à un réseau, était sûre, un mot de passe, connu de quelques membres du service, seulement, étant même introduit, au cas où.
Tout allait pour le mieux, jusqu'à ce qu'un enseignant remarque qu'un étudiant, bien peu doué, avait réussi spectaculairement un examen final. Une enquête révéla qu'il était le fils d'un des responsables de l'ordinateur qui, conscient de l'importance des diplômes universitaire, avait trafiqué les notes de son fils. Au lieu de les modifier légèrement il avait forcé stupidement la dose et les avait fait passer de 8 à 14.
Cet exemple renforce plus ou moins les remarques faites précédemment. L'informatisation ouvre souvent de nouvelles possibilités de corruption, principalement en changeant le groupe de ceux qui ont accès à l'information, et elle change aussi les connaissances nécessaires pour pouvoir se livrer à la corruption. Ce cas fournit quantité de leçons en matière de sécurité informatique. Il faudra être ingénieux pour éviter les problèmes de ce côté-là.
C'est encore en Asie que se déroule le quatrième exemple. Des responsables d'un réseau ferré s'inquiétèrent de l'inefficacité du système de réservation de places assises et de couchettes, et de la corruption dans ce système. Les employés chargés des réservations avaient évidemment un accès au système et certains acceptaient volontiers un pot de vin (soit directement, soit via le marché noir) pour fournir une réservation à un passager, une chance exceptionnelle, tous les trains étant over-bookés. Un système informatisé fut introduit, dont l'un des objectifs était d'éliminer la corruption. Pour ce faire, l'attribution des places fut gérée automatiquement, en particulier le point faible constitué par l'affectation aux passagers de la liste d'attente, des réservations annulées.
Pour les employés, l'informatisation rendit plus difficile les possibilités de passe-droits, car ce n'était plus eux, mais le logiciel qui, sur la base de la date de la demande de réservation, attribuait les places libérées. La corruption ne fut pas pour autant éliminée. Deux points peuvent être soulignés.
D'abord, les responsables de gares ont conservé en gestion manuelle un certain nombre de places, soit disant pour pallier les cas d'urgence et les demandes de dernière-minute des VIP. Certains ont ainsi pu continuer à fournir ces places, contre des bakchichs, dans des cas ni d'urgence, ni à des VIP.
Puis le marché noir démontra toute leur ingéniosité. Comme leurs meilleurs clients étaient des businessmen, toujours pressés, ils réservaient par avance, sur les principales connections inter-city, des places sous un nom banal, pour un homme de 35 ans environ. Ces réservations étaient ensuite revendues au prix fort aux retardataires, pour la plupart en mesure de paraître avoir 35 ans aux yeux des contrôleurs du train.
C'est ici un peu l'inverse du cas des douanes, où une ressource privée avait été mise à la disposition du public, puisque théoriquement le contrôle se retrouvait hors de portée des employés, intégré dans l'algorithme du logiciel. Mais tel n'était pas vraiment le cas. Certains de ceux qui détenaient le plus de pouvoir dans le système, se sont assurés que ce pouvoir discrétionnaire ne serait pas informatisé. D'une certaine manière, cela faisait partie intégrante du processus d'acceptation de l'informatisation, qui ne put être lancé que lorsqu'il fut clair qu'il ne remettrait pas en cause les pouvoirs de certains responsables et les profits annexes correspondants. Finalement, en retirant des possibilités de corruption aux employés, ce sont les responsables des gares qui ont obtenu une possibilité d'arrondir leurs fins de mois.
En définitive, cet exemple prouve, que lorsque l'on veut faire du marché noir, l'homme arrive bien à trouver le moyen de piéger la vigilance de l'ordinateur.
Le dernier cas se situe lorsque l'informatisation toucha deux universités africaines ; il fut évident qu'il fallait s'intéresser en particulier au processus d'admission, qui était notoirement lent et corrompu. Classiquement, l'informatisation des admissions se fait en saisissant, pour tous les candidats, les notes finales obtenues à l'école, en établissant alors un classement en fonction des résultats. D'autres facteurs peuvent aussi être pris en compte, mais si tout est égalitairement fait, ce sont, pour disons 1000 places, les 1000 premiers qui sont admis.
Cela constitue évidement une grande menace pour les comités d'admission. Leurs membres peuvent gagner des sommes importantes et des récompenses politiques en faisant admettre les fils et les filles des riches et des puissants, des enfants qui ne pourraient entrer à l'université avec un système basé uniquement sur le mérite.
Les comités ont adopté différentes approches. Dans la première Université, une délibération fut prise qui disait que "l'informatisation des admissions ne pourrait améliorer l'efficacité du système d'admission", et les choses continuèrent donc comme avant. Dans l'autre Université, l'informatisation fut mise en place, mais la liste informatisée ne fut prise que comme un élément d'information du comité, parmi d'autres, et ne fut pas rendue publique.
Ces exemples soulignent que ceux qui détiennent des postes stratégiques, s'arrangent pour trouver des astuces qui préservent leurs pouvoirs discrétionnaires et leurs revenus illicites. Ils y parviennent en conservant certaines informations, ou parties du processus, de décision hors de portée de l'ordinateur ; dans les deux derniers cas, soit en refusant l'informatisation, soit par l'automatisation du processus décisionnel, sauf de ses parties cruciales, celles dont dépendent les choix décisifs pour l'admission.
Comment l'informatisation peut affecter la corruption dans les pays en développement
Deux conclusions principales ressortent des exemples précédents. Dans certains cas, l'informatisation laisse la corruption à l'identique, car l'automatisation n'y concerne, ni les données, ni les processus propices à la corruption, qui sont exclus de la chaîne informatisée. Dans d'autres cas, l'informatisation modifie la corruption en déplaçant le groupe qui dispose de l'accès à des informations importantes et monnayables, et d'un certain contrôle sur celles-ci, et/ou en faisant évoluer les compétences nécessaires à la corruption. Plus précisément, dans le sens d'une élévation du niveau des compétences nécessaires pour pouvoir profiter de bakchichs, n'offrant plus cette possibilité qu'à ceux qui ont une bonne connaissance des nouvelles technologies.
Ainsi donc l'informatisation peut réduire ou éliminer certaines formes de corruption en modifiant les formes d'accès, de contrôle, et les compétences nécessaires. La corruption peut se développer quand des individus ont accès à des données importantes et monnayables (de même que le contact avec des personnes susceptibles d'en payer le prix fort), le savoir-faire et une certaine autonomie dans la manipulation des données. Là où les ordinateurs peuvent refuser des accès, ou bien là où les dirigeants ont les moyens de contrôler leurs employés, réduisant ainsi leur autonomie, la corruption peut en conséquence être entravée.
Evidemment, accès, pouvoir de contrôle et savoir-faire sont des conditions nécessaires, mais pas suffisantes pour l'instauration de la corruption. Les individus doivent avoir leurs propres motivations pour accepter d'être corrompus, et aussi l'assurance qu'ils ne seront pas pris ou punis. Les ordinateurs ne changent pas les motivations de base, mais par contre ils peuvent affecter le sentiment d'impunité. Le mythe, souvent diffusé, de l'ordinateur "objectif, voyant tout, omnipotent" peut faire perdre à certains employés corrompus leur confiance en leur impunité et les inciter à changer de comportement en la matière, temporairement peut-être, jusqu'à leur premier cours d'informatique !
Mis à part une réduction ou l'élimination d'une partie de la corruption, une deuxième évolution due à l'informatisation est l'apparition de nouvelles possibilités. Il peut y avoir de nouvelles formes ou processus de corruption de la part de ceux qui utilisent le pouvoir des ordinateurs et leur compétence informatique, ou de la part de ceux qui mettent en place des procédures ou des dispositifs qui tournent sur des ordinateurs. Finalement, même si cela n'a pas été évoqué dans les exemples précédents, lors des achats de matériel informatique, on retrouve une vieille forme d'abus habillée des vêtements neufs de la technologie, avec les pots-de-vin entre vendeurs et acheteurs. En définitive, l'informatisation, quand elle change les choses, offre de nouvelles opportunités de corruption pour certains, et supprime ou entraîne des modifications de leurs combines pour d'autres. Ces évolutions, en particulier la crainte de la réduction des revenus illicites de la corruption ont un impact important lors de l'analyse de l'informatisation d'un système d'information en présence de pratiques de corruption.
Ainsi dans un pays d'Asie, dans une caisse de retraites, la résistance à l'informatisation fut très nette. Au départ de nombreuses raisons furent évoquées comme origine de cette résistance : la crainte de la perte d'emplois ; l'inquiétude d'une absence de savoir-faire chez les employés ; des problèmes de santé et de sécurité. Lors d'une enquête plus précise, la crainte se revéla liée aux revenus de la corruption. Les employés avaient le pouvoir de refuser des paiements des retraites ou bien d'offrir l'accès à des pensions de retraites plus importantes ; ils utilisaient ce pouvoir pour extorquer des pots-de-vin aux demandeurs. Ils craignaient que l'informatisation leur retire ce pouvoir, de là la véritable raison de leur résistance.
Quand résistance et corruption sont liées, trois attitudes possibles apparaissent dans les cas précédents : si l'informatisation ne risque pas d'affecter la corruption le faire savoir subtilement ; si elle peut affecter la corruption et si les détenteurs des pouvoirs ne sont pas si puissants que cela, alors faire front ; si elle peut affecter la corruption et si les détenteurs des pouvoirs sont réellement puissants, alors changer l'informatisation envisagée d'une manière telle que les principaux processus générateurs de revenus illicites ne soient pas informatisés.
Quelle que soit l'attitude retenue, il est clair que le lien entre informatisation et corruption reconnu dans l'analyse d'un système d'information et doit être considéré comme un élément de résistance à l'automatisation il faut faire avec.
L'informatisation peut-elle éliminer la corruption ?
Il ressort clairement de l'analyse précédente que la réponse à cette question est "non, bien sûr". L'informatisation peut ne rien changer, faire évoluer la corruption, ou réduire certaines formes de corruption, mais certainement pas l'éliminer et peut même éventuellement l'augmenter. En laissant de côté la corruption d'"opportunity"comme celle apparue dans le cas des fichiers de paie, deux types de corruption peuvent être distingués. Il y a la "corruption par nécessité", pratiquée par des administratifs de base, peu payés. Leurs revenus ne leur permettant pas de répondre à toutes les sollicitations auxquelles ils sont soumis, ils doivent donc trouver des compléments. Les ordinateurs peuvent éventuellement supprimer leurs activités, mais ne peuvent en faire de même avec leurs besoins impérieux d'un revenu annexe. La corruption doit donc ré- apparaître.
Ensuite, il y a une "corruption par cupidité" pratiquée par les cadres. Ils ont suffisamment pour vivre, mais ils en veulent encore plus et ils en ont les moyens par leur position et parce que c'est considéré comme une activité naturelle pour ceux qui ont du pouvoir. Sauf si elle leur est imposée par une puissant organisme extérieur, comme ils ont le pouvoir de choisir leur environnement de travail, ils ne laissent pas l'informatisation avoir beaucoup d'influence sur leur pouvoir de décision.
Dans tous les cas, on peut observer que la corruption apparaît comme la combinaison de deux facteurs : à un niveau micro (l'individu, les circonstances locales, les besoins, les compétences, les possibilités d'accès, les responsabilités et les opportunités) et à un niveau macro ( le management dans l'organisation et nationale, les politiques et la culture). Comme on l'a vu, l'informatisation peut modifier le savoir-faire, les possibilités d'accès, les responsabilités, les opportunités et le système de management. Mais elle n'est pas en mesure de modifier les tendances individuelles ou collectives cachées derrière la corruption, (même s'il est probable que l'informatisation ait des impacts sur la culture des organisations). Pour dire cela en termes simples, l'informatisation affecte les symptômes d'un système corrompu bien plus que les causes. La corruption est un phénomène qui a ses racines dans les circonstances culturelles, politiques et économiques dans lesquelles vivent les individus impliqués. L'informatisation ne concernant que peu ces racines, ne peut éliminer automatiquement la corruption.
Informatisation et corruption : un programme de recherche
En présentant les cas ci-dessus, j'ai été surpris par le fait que ces histoires pourraient très bien être des "mythes urbains modernes"-des fictions, basées sur la réalité, qui collent suffisamment avec nos peurs et notre système de valeurs pour être crédibles. Bien que basé sur des cas réels, ces études (et spécialement sous leur forme condensée), peuvent aisément dégénérer en potins et rumeurs. A l'intérieur des limites imposées par la nature très délicate du thème de la corruption, il y a bien un besoin évident pour des études de cas plus fouillées, traitant le thème de l'informatisation et de la corruption.
En même temps que descriptives, ces études devraient s'interroger sur : l'impact de la corruption sur les revenus illicites de la corruption et les méthodes utilisées (y compris selon les variantes fonction du niveau de responsabilité) ; l'impact de la corruption sur la conception et l'implantation des systèmes d'information ; la manière selon laquelle les ordinateurs font évoluer dans les organisations le "micro-climat" qui entoure la corruption d'un point de vue, culturel, politique et économique. Si des lecteurs sont au courant de telles études, ou connaissent des cas où l'informatisation et la corruption ont inter-agit, j'aimerais en prendre connaissance, en m'engageant, bien sûr, à respecter la confidentialité.(4)

Notes

  1. "inducement to wrong by bribery or other unlawful or improper means"
  2. Adaptées de R. Klitgaard, Managing the fight against corruption : a case study. Public Administration and Development, Vol.4, 77-98, 1984
  3. C. J. Davies, Controlling administrative corruption, Planning and Administration, Vol.2, 62-66, 1987
  4. Email de Richard Heeks : richard@man.ac.uk

Traduit de l'anglais par Daniel Naulleau.