La corruption -"incitation à la faute par subornation
ou par des moyens illégaux ou malhonnête" (1)
- est un problème général. Le thème de cet
article est celui de la corruption dans le secteur public des pays en développement.
En choisissant ce thème, il faut bien admettre, que d'autres secteurs
que le public et que d'autres pays ont aussi des problèmes de corruption,
et que la corruption dans les organismes publics des pays en développement
passe par des financements venant du privé ou d'ailleurs.
Etudier l'informatisation et la corruption
La question de la corruption suscite des réactions contradictoires,
dont certaines sont reprises ici (2) :
- la corruption est un concept propre à chaque culture,
"votre culture vous fait dire que X est corrompu, pas la mienne"
;
- la corruption est salutaire "elle aide à faire
tourner la machine de l'Etat et des affaires" ;
- la corruption est trop répandue pour s'y opposer "la
corruption est partout. Que peut-on bien espérer faire ?"
Toutes ces réactions pourraient rendre difficile la
prise en compte sérieuse du phénomène de la corruption,
mais en fait il faut bien s'y attaquer pour au moins trois bonnes raisons
(3) :
- elle aspire des ressources économiques importantes,
particulièrement des possibilités d'investissement, vers
des usages non-productifs et réduit les chances d'atteindre les
objectifs planifiés ;
- elle "pompe" une autre ressource importante -le temps des
fonctionnaires- vers des activités non-productives, et elle créée
du ressentiment et des frustrations parmi le personnel, réduisant
l'efficacité de l'administration ;
- par nature cachée et sans responsable avoué,
elle est antidémocratique et entrave le développement du
processus et des institutions démocratiques.
Pour ces raisons, entre autres, la corruption a toujours été
considérée dans les pays en développement comme un
grave problème. Depuis peu son importance grandit à cause
des actions menées par des organismes financeurs, qui la considèrent
explicitement, de plus en plus, comme un critère pour juger d'une
"bonne administration" dans leurs décisions d'attribution
de fonds, comme le fait par exemple l'ODA britannique. L'initiative de
l'OCDE pour tenter d'éliminer les paiements illicites et la création
de l'ONG "Transparency International," vont dans le même sens.
Si la corruption est à l'ordre du jour au plan international,
il en est de même de l'informatisation. On est conduit alors à
se demander comment l'informatisation peut intervenir dans le phénomène
de la corruption dans les pays en développement. Vu l'importance
des deux sujets -informatisation et corruption- et leur possible association,
on pourrait croire que la question a été sérieusement
examinée. Il n'en est rien. Il y a fort peu d'études sur
le sujet.
Une des raisons est la difficulté de mener des enquêtes
sur la corruption, car comme le note Klitgaard1 : "la corruption
est un des principaux problèmes auquel se heurtent les décideurs
et les entreprises dans les pays en développement, mais un des plus
difficile à étudier". Les officiels corrompus ne font
évidemment pas bon accueil à des enquêtes sur leurs
activités ; il est plus facile de parler de la corruption en privé
que de l'étudier publiquement.
Deuxièmement, il y a ce refus classique des gens à
aborder les problèmes liés à la technologie : l'étude
de la corruption relève des sciences sociales, mais beaucoup de
sociologues sont mal à l'aise quand il s'agit des nouvelles technologies
; parallèlement, la majorité des spécialistes des
technologies de l'information préfèrent passer leur soirée
à débattre des mérites des diverses architectures
des bus locaux, plutôt que de résoudre de vrais problèmes
comme celui de la corruption.
Là où la question émerge, c'est dans les
nombreux textes sur la sécurité informatique. Toutefois,
il y a encore relativement peu d'études de cas sur ce sujet pour
le Tiers Monde. Dans une recherche sur la corruption et l'informatisation,
un intérêt évident est de savoir si l'informatisation
peut -par exemple grâce à l'amélioration du contrôle
des mécanismes internes des organisations- aider à réduire
ou même à éliminer la corruption. Quelques exemples
devraient venir ici apporter des éléments de réponse.
Ils proviennent de l'expérience personnelle de l'auteur et de celle
de membres de l'Institute for Development Policy and Management de l'Université
de Manchester.
Des cas d'informatisation et de corruption
Le premier cas se passe en Asie, dans un bureau des douanes
qui conservait manuellement les coordonnées des firmes étrangères
impliquées dans des activités d'import-export. Ces adresses
sont utiles pour les entreprises recherchant des contacts pour leurs activités
d'exportation. C'est pourquoi elles payaient des employés des douanes
pour qu'ils leur fournissent, en douce, les informations désirées.
Ce département des douanes a été informatisé
et un terminal mis à un guichet à la disposition du public.
Les entrepreneurs ont gagné un accès direct aux précieuses
informations, et le système de pots-de-vin a cessé.
Ces informations utiles pour le commerce international étaient
très recherchées par les businessmen locaux. Comme cette
information était rare et gardée comme une ressource privée,
les employés des douanes (jouant le rôle de gardien des informations)
étaient en mesure d'en "monnayer" l'accès. Tombées
dans le domaine public, il n'est plus possible d'en rendre l'accès
payant. Bien sûr cela à peu à voir avec l'informatisation.
Le département aurait tout aussi bien pu rendre publiques ces informations
enregistrées manuellement. Ainsi, quand on étudie les changements
dus à l'informatisation, il faut bien prendre garde à distinguer
les impacts des ordinateurs de ceux liés aux changements simultanés
dans l'organisation.
Le deuxième cas se situe dans une entreprise de travaux
publics africaine. Le problème était la présence de
travailleurs "fantômes" dans le système. Ce sont des
travailleurs inscrits comme employés, et donc payés en tant
que tels, mais qui en réalité n'existent pas. C'est une autre
personne qui reçoit le salaire à leur place. La paie a été
informatisée, et durant le processus d'informatisation un rapprochement
à été réalisé entre les employés
du fichier et les vrais. Ainsi, tous les travailleurs "virtuels"
furent retirés.
Cela sembla avoir résolu le problème, d'autant
plus que le bruit courait que l'ordinateur pouvait faire automatiquement
une comparaison entre la liste des employés à payer et la
réalité, et détecter ainsi les salaires des travailleurs
"fantômes". Bien sûr, il n'en était pas capable. Un
audit réalisé 18 mois plus tard permit de repérer
un opérateur fort aisé qui touchait son salaire mais aussi
celui de 30 autres travailleurs "virtuels"qu'il avait fait entrer
dans le système de paie.
Deux remarques peuvent être faites à la lumière
de cet exemple. Premièrement, comme dans le cas précédent,
l'informatisation a peu à voir avec l'élimination des travailleurs
"fantômes", et celle -temporaire- de la corruption induite.
C'est une vérification manuelle, comme celle réalisée
avant et après l'informatisation, qui est nécessaire.
Deuxièmement, l'informatisation a fait évoluer
la situation en modifiant le groupe des gens compétents, ayant des
responsabilités et l'accès aux données leur permettant
de réaliser des activités de corruption. Beaucoup des employés
ordinaires furent effrayés et n'osèrent plus tenter cette
forme de corruption.à cause d'une mauvaise perception des pouvoirs
réels de l'ordinateur (réputation qui avait peut-être
été répandue par l'équipe informatique). Ceux
qui avaient une bonne connaissance des ordinateurs virent dans l'informatisation
une formidable opportunité. Bien plus, ils risquaient d'autant moins
d'être repérés qu'il existe une sorte de sentiment
que les bases de données informatisées sont comme hors de
portée des interventions de l'homme, que le pouvoir des ordinateurs
fournissant des données est infaillible.
Le troisième cas a pour cadre une Université
Asiatique. Les notes des examens y étaient conservées sur
papier, les moyennes et les diplômes calculés manuellement
par un petit groupe d'employés de confiance. Les listes de notes
étaient conservées dans des coffres-forts. Etant donné
le grand nombre d'étudiants concernés, un jour il fut décidé
d'informatiser la gestion des notes. Il fut admis que l'information mémorisée
sur un ordinateur non connecté à un réseau, était
sûre, un mot de passe, connu de quelques membres du service, seulement,
étant même introduit, au cas où.
Tout allait pour le mieux, jusqu'à ce qu'un enseignant
remarque qu'un étudiant, bien peu doué, avait réussi
spectaculairement un examen final. Une enquête révéla
qu'il était le fils d'un des responsables de l'ordinateur qui, conscient
de l'importance des diplômes universitaire, avait trafiqué
les notes de son fils. Au lieu de les modifier légèrement
il avait forcé stupidement la dose et les avait fait passer de 8
à 14.
Cet exemple renforce plus ou moins les remarques faites précédemment.
L'informatisation ouvre souvent de nouvelles possibilités de corruption,
principalement en changeant le groupe de ceux qui ont accès à
l'information, et elle change aussi les connaissances nécessaires
pour pouvoir se livrer à la corruption. Ce cas fournit quantité
de leçons en matière de sécurité informatique.
Il faudra être ingénieux pour éviter les problèmes
de ce côté-là.
C'est encore en Asie que se déroule le quatrième
exemple. Des responsables d'un réseau ferré s'inquiétèrent
de l'inefficacité du système de réservation de places
assises et de couchettes, et de la corruption dans ce système. Les
employés chargés des réservations avaient évidemment
un accès au système et certains acceptaient volontiers un
pot de vin (soit directement, soit via le marché noir) pour fournir
une réservation à un passager, une chance exceptionnelle,
tous les trains étant over-bookés. Un système informatisé
fut introduit, dont l'un des objectifs était d'éliminer la
corruption. Pour ce faire, l'attribution des places fut gérée
automatiquement, en particulier le point faible constitué par l'affectation
aux passagers de la liste d'attente, des réservations annulées.
Pour les employés, l'informatisation rendit plus difficile
les possibilités de passe-droits, car ce n'était plus eux,
mais le logiciel qui, sur la base de la date de la demande de réservation,
attribuait les places libérées. La corruption ne fut pas
pour autant éliminée. Deux points peuvent être soulignés.
D'abord, les responsables de gares ont conservé en gestion
manuelle un certain nombre de places, soit disant pour pallier les cas
d'urgence et les demandes de dernière-minute des VIP. Certains ont
ainsi pu continuer à fournir ces places, contre des bakchichs, dans
des cas ni d'urgence, ni à des VIP.
Puis le marché noir démontra toute leur ingéniosité.
Comme leurs meilleurs clients étaient des businessmen, toujours
pressés, ils réservaient par avance, sur les principales
connections inter-city, des places sous un nom banal, pour un homme de
35 ans environ. Ces réservations étaient ensuite revendues
au prix fort aux retardataires, pour la plupart en mesure de paraître
avoir 35 ans aux yeux des contrôleurs du train.
C'est ici un peu l'inverse du cas des douanes, où une
ressource privée avait été mise à la disposition
du public, puisque théoriquement le contrôle se retrouvait
hors de portée des employés, intégré dans l'algorithme
du logiciel. Mais tel n'était pas vraiment le cas. Certains de ceux
qui détenaient le plus de pouvoir dans le système, se sont
assurés que ce pouvoir discrétionnaire ne serait pas informatisé.
D'une certaine manière, cela faisait partie intégrante du
processus d'acceptation de l'informatisation, qui ne put être lancé
que lorsqu'il fut clair qu'il ne remettrait pas en cause les pouvoirs de
certains responsables et les profits annexes correspondants. Finalement,
en retirant des possibilités de corruption aux employés,
ce sont les responsables des gares qui ont obtenu une possibilité
d'arrondir leurs fins de mois.
En définitive, cet exemple prouve, que lorsque l'on
veut faire du marché noir, l'homme arrive bien à trouver
le moyen de piéger la vigilance de l'ordinateur.
Le dernier cas se situe lorsque l'informatisation toucha deux
universités africaines ; il fut évident qu'il fallait s'intéresser
en particulier au processus d'admission, qui était notoirement lent
et corrompu. Classiquement, l'informatisation des admissions se fait en
saisissant, pour tous les candidats, les notes finales obtenues à
l'école, en établissant alors un classement en fonction des
résultats. D'autres facteurs peuvent aussi être pris en compte,
mais si tout est égalitairement fait, ce sont, pour disons 1000
places, les 1000 premiers qui sont admis.
Cela constitue évidement une grande menace pour les
comités d'admission. Leurs membres peuvent gagner des sommes importantes
et des récompenses politiques en faisant admettre les fils et les
filles des riches et des puissants, des enfants qui ne pourraient entrer
à l'université avec un système basé uniquement
sur le mérite.
Les comités ont adopté différentes approches.
Dans la première Université, une délibération
fut prise qui disait que "l'informatisation des admissions ne pourrait
améliorer l'efficacité du système d'admission",
et les choses continuèrent donc comme avant. Dans l'autre Université,
l'informatisation fut mise en place, mais la liste informatisée
ne fut prise que comme un élément d'information du comité,
parmi d'autres, et ne fut pas rendue publique.
Ces exemples soulignent que ceux qui détiennent des
postes stratégiques, s'arrangent pour trouver des astuces qui préservent
leurs pouvoirs discrétionnaires et leurs revenus illicites. Ils
y parviennent en conservant certaines informations, ou parties du processus,
de décision hors de portée de l'ordinateur ; dans les deux
derniers cas, soit en refusant l'informatisation, soit par l'automatisation
du processus décisionnel, sauf de ses parties cruciales, celles
dont dépendent les choix décisifs pour l'admission.
Comment l'informatisation peut affecter la corruption dans
les pays en développement
Deux conclusions principales ressortent des exemples précédents.
Dans certains cas, l'informatisation laisse la corruption à l'identique,
car l'automatisation n'y concerne, ni les données, ni les processus
propices à la corruption, qui sont exclus de la chaîne informatisée.
Dans d'autres cas, l'informatisation modifie la corruption en déplaçant
le groupe qui dispose de l'accès à des informations importantes
et monnayables, et d'un certain contrôle sur celles-ci, et/ou en
faisant évoluer les compétences nécessaires à
la corruption. Plus précisément, dans le sens d'une élévation
du niveau des compétences nécessaires pour pouvoir profiter
de bakchichs, n'offrant plus cette possibilité qu'à ceux
qui ont une bonne connaissance des nouvelles technologies.
Ainsi donc l'informatisation peut réduire ou éliminer
certaines formes de corruption en modifiant les formes d'accès,
de contrôle, et les compétences nécessaires. La corruption
peut se développer quand des individus ont accès à
des données importantes et monnayables (de même que le contact
avec des personnes susceptibles d'en payer le prix fort), le savoir-faire
et une certaine autonomie dans la manipulation des données. Là
où les ordinateurs peuvent refuser des accès, ou bien là
où les dirigeants ont les moyens de contrôler leurs employés,
réduisant ainsi leur autonomie, la corruption peut en conséquence
être entravée.
Evidemment, accès, pouvoir de contrôle et savoir-faire
sont des conditions nécessaires, mais pas suffisantes pour l'instauration
de la corruption. Les individus doivent avoir leurs propres motivations
pour accepter d'être corrompus, et aussi l'assurance qu'ils ne seront
pas pris ou punis. Les ordinateurs ne changent pas les motivations de base,
mais par contre ils peuvent affecter le sentiment d'impunité. Le
mythe, souvent diffusé, de l'ordinateur "objectif, voyant tout,
omnipotent" peut faire perdre à certains employés corrompus
leur confiance en leur impunité et les inciter à changer
de comportement en la matière, temporairement peut-être, jusqu'à
leur premier cours d'informatique !
Mis à part une réduction ou l'élimination
d'une partie de la corruption, une deuxième évolution due
à l'informatisation est l'apparition de nouvelles possibilités.
Il peut y avoir de nouvelles formes ou processus de corruption de la part
de ceux qui utilisent le pouvoir des ordinateurs et leur compétence
informatique, ou de la part de ceux qui mettent en place des procédures
ou des dispositifs qui tournent sur des ordinateurs. Finalement, même
si cela n'a pas été évoqué dans les exemples
précédents, lors des achats de matériel informatique,
on retrouve une vieille forme d'abus habillée des vêtements
neufs de la technologie, avec les pots-de-vin entre vendeurs et acheteurs.
En définitive, l'informatisation, quand elle change les choses,
offre de nouvelles opportunités de corruption pour certains, et
supprime ou entraîne des modifications de leurs combines pour d'autres.
Ces évolutions, en particulier la crainte de la réduction
des revenus illicites de la corruption ont un impact important lors de
l'analyse de l'informatisation d'un système d'information en présence
de pratiques de corruption.
Ainsi dans un pays d'Asie, dans une caisse de retraites, la
résistance à l'informatisation fut très nette. Au
départ de nombreuses raisons furent évoquées comme
origine de cette résistance : la crainte de la perte d'emplois ;
l'inquiétude d'une absence de savoir-faire chez les employés
; des problèmes de santé et de sécurité. Lors
d'une enquête plus précise, la crainte se revéla liée
aux revenus de la corruption. Les employés avaient le pouvoir de
refuser des paiements des retraites ou bien d'offrir l'accès à
des pensions de retraites plus importantes ; ils utilisaient ce pouvoir
pour extorquer des pots-de-vin aux demandeurs. Ils craignaient que l'informatisation
leur retire ce pouvoir, de là la véritable raison de leur
résistance.
Quand résistance et corruption sont liées, trois
attitudes possibles apparaissent dans les cas précédents
: si l'informatisation ne risque pas d'affecter la corruption le faire
savoir subtilement ; si elle peut affecter la corruption et si les détenteurs
des pouvoirs ne sont pas si puissants que cela, alors faire front ; si
elle peut affecter la corruption et si les détenteurs des pouvoirs
sont réellement puissants, alors changer l'informatisation envisagée
d'une manière telle que les principaux processus générateurs
de revenus illicites ne soient pas informatisés.
Quelle que soit l'attitude retenue, il est clair que le lien
entre informatisation et corruption reconnu dans l'analyse d'un système
d'information et doit être considéré comme un élément
de résistance à l'automatisation il faut faire avec.
L'informatisation peut-elle éliminer la corruption
?
Il ressort clairement de l'analyse précédente
que la réponse à cette question est "non, bien sûr".
L'informatisation peut ne rien changer, faire évoluer la corruption,
ou réduire certaines formes de corruption, mais certainement pas
l'éliminer et peut même éventuellement l'augmenter.
En laissant de côté la corruption d'"opportunity"comme
celle apparue dans le cas des fichiers de paie, deux types de corruption
peuvent être distingués. Il y a la "corruption par nécessité",
pratiquée par des administratifs de base, peu payés. Leurs
revenus ne leur permettant pas de répondre à toutes les sollicitations
auxquelles ils sont soumis, ils doivent donc trouver des compléments.
Les ordinateurs peuvent éventuellement supprimer leurs activités,
mais ne peuvent en faire de même avec leurs besoins impérieux
d'un revenu annexe. La corruption doit donc ré- apparaître.
Ensuite, il y a une "corruption par cupidité"
pratiquée par les cadres. Ils ont suffisamment pour vivre, mais
ils en veulent encore plus et ils en ont les moyens par leur position et
parce que c'est considéré comme une activité naturelle
pour ceux qui ont du pouvoir. Sauf si elle leur est imposée par
une puissant organisme extérieur, comme ils ont le pouvoir de choisir
leur environnement de travail, ils ne laissent pas l'informatisation avoir
beaucoup d'influence sur leur pouvoir de décision.
Dans tous les cas, on peut observer que la corruption apparaît
comme la combinaison de deux facteurs : à un niveau micro (l'individu,
les circonstances locales, les besoins, les compétences, les possibilités
d'accès, les responsabilités et les opportunités)
et à un niveau macro ( le management dans l'organisation et nationale,
les politiques et la culture). Comme on l'a vu, l'informatisation peut
modifier le savoir-faire, les possibilités d'accès, les responsabilités,
les opportunités et le système de management. Mais elle n'est
pas en mesure de modifier les tendances individuelles ou collectives cachées
derrière la corruption, (même s'il est probable que l'informatisation
ait des impacts sur la culture des organisations). Pour dire cela en termes
simples, l'informatisation affecte les symptômes d'un système
corrompu bien plus que les causes. La corruption est un phénomène
qui a ses racines dans les circonstances culturelles, politiques et économiques
dans lesquelles vivent les individus impliqués. L'informatisation
ne concernant que peu ces racines, ne peut éliminer automatiquement
la corruption.
Informatisation et corruption : un programme de recherche
En présentant les cas ci-dessus, j'ai été
surpris par le fait que ces histoires pourraient très bien être
des "mythes urbains modernes"-des fictions, basées sur la
réalité, qui collent suffisamment avec nos peurs et notre
système de valeurs pour être crédibles. Bien que basé
sur des cas réels, ces études (et spécialement sous
leur forme condensée), peuvent aisément dégénérer
en potins et rumeurs. A l'intérieur des limites imposées
par la nature très délicate du thème de la corruption,
il y a bien un besoin évident pour des études de cas plus
fouillées, traitant le thème de l'informatisation et de la
corruption.
En même temps que descriptives, ces études devraient
s'interroger sur : l'impact de la corruption sur les revenus illicites
de la corruption et les méthodes utilisées (y compris selon
les variantes fonction du niveau de responsabilité) ; l'impact de
la corruption sur la conception et l'implantation des systèmes d'information
; la manière selon laquelle les ordinateurs font évoluer
dans les organisations le "micro-climat" qui entoure la corruption d'un
point de vue, culturel, politique et économique. Si des lecteurs
sont au courant de telles études, ou connaissent des cas où
l'informatisation et la corruption ont inter-agit, j'aimerais en prendre
connaissance, en m'engageant, bien sûr, à respecter la confidentialité.(4)
Notes
-
"inducement to wrong by bribery or other unlawful or
improper means"
-
Adaptées de R. Klitgaard, Managing the fight
against corruption : a case study. Public Administration and Development,
Vol.4, 77-98, 1984
-
C. J. Davies, Controlling administrative corruption,
Planning and Administration, Vol.2, 62-66, 1987
-
Email de Richard Heeks : richard@man.ac.uk
Traduit de l'anglais par Daniel Naulleau.